Médiation animale

Quand l’animal vient réconforter l’homme

La médiation animale est une pratique innovante en France. Nous avons demandé à Béatrice Ginguay de nous faire part d’une expérience professionnelle, qui est aussi une expérience de vie

J H

 

thumbnail1 La médiation animale commence à se développer en France. Qu’est ce que la médiation animale ? Comment cette nouvelle pratique se développe-t-elle actuellement dans notre pays ?

Avant toute chose, je souhaiterais préciser un point important.

Dans un certain nombre de structures, des personnes bénévoles au grand cœur viennent visiter les patients, les résidents, accompagnées d’un animal.

Le bien-être ressenti et les bienfaits lors de ces échanges entre humains et avec l’animal, le partage d’émotions … sont  indéniables. Et j’admire ces personnes qui donnent de leur temps, de leur énergie, de leur attention. J’ai eu plusieurs retours positifs.

Néanmoins, il me parait important de différencier les visites de « chiens visiteurs », du sujet précisément développé : les séances de Médiation Animale.

La médiation animale, c’est « mettre l’animal au cœur d’une médiation », au service d’une relation.

Dans la « société des hommes », un médiateur permet à deux  parties de mieux se comprendre, de résoudre une difficulté, de trouver une solution.

Dans le cadre de la Médiation Animale (MA), l’animal, de par sa présence et/ou grâce à la relation qui va s’établir avec lui, va, par exemple, agir au niveau psychologique ou psychique, et va permettre une redistribution, active ou inconsciente, des cartes, des tensions, des enjeux, des énergies…

Il s’agit donc de transformer une relation « duelle » (c’est-à-dire entre deux personnes – ce qui ne signifie pas forcément qu’elle soit conflictuelle, en « relation triangulaire » – intervention d’un troisième  élément, l’animal.

La MA va permettre une approche différente de la situation.

Grâce à une multiplicité de déclinaisons possibles, elle va tendre à la débloquer, à apporter un mieux-être et à trouver une solution…

C’est en réalité un binôme « humain-animal » que la MA met en jeu : un professionnel humain, diplômé et expérimenté, aidé dans son approche par un animal.

L’accompagnement en MA est le résultat d’une combinaison subtile qui dépend autant

  • de la spécificité professionnelle, personnalité,… de l’humain,
  • que de l’animal en lui-même (race, personnalité…)
  • ET de la relation développée entre le professionnel et l’animal avec lequel il travaille.

Dans notre cadre professionnel, l’animal n’est pas, à lui seul, un médiateur, ni un thérapeute. C’est ce binôme qui a cette action « thérapeutique » (au sens large du terme).

Ainsi l’aide apportée par ce type de médiation sera fonction

  • du type d’animal (chien, cheval, lapin…), de la race (gros chien petit chien…), du caractère spécifique de l’animal…,
  • de la problématique de la personne accompagnée,
  • de l’orientation professionnelle de l’humain.

 

Il me semble important d’insister sur le fait que la bonne volonté, l’intuition, l’amour des animaux ne suffisent pas.

Ainsi pour moi, la Médiation Animale impose du professionnalisme à trois niveaux :

  • la MA est un outil utilisé par un professionnel dans sa propre discipline professionnelle,
  • l’animal doit être « professionnel », c’est-à-dire être « formé ». Je ne parle pas ici de « formation/dressage qui casse » et qui rend l’animal « obéissant et coopératif » sous l’emprise de la soumission, voire de la terreur.

Non, le bien être de l’animal, son plaisir à entrer en relation avec l’humain, sa sécurité, le respect de ses signaux de fatigue… sont des fondamentaux incontournables de la MA.

  • le professionnel se doit également d’être formé à la Médiation Animale, l’animal n’étant pas un objet, ni un robot, mais bien un être vivant. Cette formation va lui permettre d’être très attentif et respectueux
  • des signaux que l’animal va émettre (malaise, fatigue, énervement…)
  •  des besoins biologiques, physiologiques, psychiques de  l’animal,
  • de la spécificité de son espèce.

 

 

2 Aujourd’hui, tu interviens dans ce domaine avec une chienne formée en ce sens, Iska. Peux-tu nous décrire quelques unes de tes interventions ?

Mes services s’adressent aux particuliers, aux institutions médicales ou médico-sociales, aux collectivités publiques ou organismes privés.

Les bénéficiaires peuvent être des personnes âgées, des adultes, des enfants (quel que soit leur âge – j’interviens également en crèche).

De nombreuses problématiques faisant intervenir différentes dimensions  peuvent ainsi être abordées dans le cadre de la M.A :

  • dimension physique liée à la motricité, l’équilibre…
  • dimension cognitive et mnésique
  • dimension émotionnelle
  • dimension sensorielle
  • …..

 

Les prises en charge sont diverses :

  •  Maladies invalidantes, Handicap mental / physique, Polyhandicap,
  •  Troubles cognitifs (légers ou sévères),
  •  Personnes privées de toute communication, maladie d’Alzheimer,
  •  Deuil, Séparations, Mal-être,
  •  Reconversion professionnelle, Burn Out,
  •  Etc…

 

Les séances peuvent avoir lieu à un niveau individuel ou en groupe.

Selon les demandes, j’interviens seule avec Iska, ou en présence d’un autre professionnel.

J’apprécie particulièrement les interventions de cette sorte avec d’autres professionnels : infirmière, psychomotricien, psychologue, kinésithérapeute, animateur, auxiliaire de puériculture, etc…

Cette coordination enrichit grandement la prise en charge et l’accompagnement de la personne bénéficiaire, et permet de poser, en fonction du projet, un objectif thérapeutique précis.

Iska et moi pouvons intervenir également dans une dimension de Santé Publique autour du thème « la prévention des morsures », s’adressant plus particulièrement aux enfants.

Le descriptif de ces interventions permet de différencier une séance de Médiation Animale d’un autre type de présence animale : celle des Chiens Visiteurs.

Le plus souvent, il s’agit de personnes bénévoles généreuses, accompagnées de leur animal de compagnie. Ces binômes apportent  beaucoup de joie, de bien-être et d’amour à travers une dimension relationnelle.

 

3 Peux tu nous raconter, plus en détails, une de tes interventions ?

Dans un des EHPAD (Etablissement d’Hospitalisation pour Personnes Agées Dépendantes) je travaille avec une psychologue. Celle-ci m’a demandé d’intervenir auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade très avancé.

Cette dame n’a, en apparence, plus de contact avec notre réalité. La psychologue décrit une situation d’usure des équipes suite aux cris, pleurs, gémissements incessants de cette dame.

Lors de la première séance, je me suis approchée de la dame : je lui ai parlé pendant de longues minutes. Je l’ai touchée, caressée.

J’ai mobilisé doucement le bras de la dame encore très crispé et replié sur son thorax. Puis j’ai fait intervenir Iska, afin que la main de la dame soit mise en contact avec le poil d’Iska. Elle a pu ressentir ainsi la chaleur et la douceur qui émanaient du corps de l’animal.

Nous avons passé un bon moment comme cela : c’est comme si le temps et l’espace étaient suspendus et se réduisaient à mes paroles prononcées sur un ton doux et paisible, aux commentaires que j’associais à mes gestes, aux  massages-caresses, à l’intervention d’Iska prêtant son corps, ….

Et je me suis rendue compte au bout d’1/4 heure que l’ambiance de la chambre avait changé : la dame avait cessé de crier et de gémir.

Mon intervention, associée à celle d’Iska, avait apaisé cette dame. Aucun mot ne sortait de sa bouche ; mais il était clair que les différentes stimulations étaient traitées par son cerveau, malgré son absence de réactions volontaires explicites. Et il en résultait un effet positif au niveau du ressenti et apaisant au niveau des émotions.

Ce même phénomène s’est renouvelé durant les séances suivantes.

Puis un jour, la psychologue m’a rapporté que les équipes s’apercevaient que la dame était beaucoup plus paisible. Les pleurs, gémissements s’estompaient : la Médiation Animale opérait, y compris durant les périodes entre 2 séances.

Maintenant, cette dame est moins tendue, moins crispée, moins  douloureuse et peut rester dans la salle commune, dans son fauteuil, au milieu des autres résidents, sans gémir, ni crier sa souffrance.

La spirale a été rompue : silencieuse, elle ne « perturbe » plus l’ambiance des réunions/activités d’animation, phénomène qui avait abouti à un isolement en chambre pour le confort collectif.

En retour, elle bénéficie, à son niveau, de différentes sollicitations sensorielles, même si elles ne lui sont pas directement adressées.

 

4 Une pratique de ce genre requiert une sympathie pour les animaux. Peux- tu nous raconter comment cette sympathie s’est développée chez toi ? A partir de quelles expériences ?

Depuis toute petite, j’ai toujours été fortement attirée par les animaux. Ceux-ci venaient assez spontanément vers moi, même en pleine rue.

Quelques expériences :

  • je me souviens d’un été en vacances, où je passais tout mon temps « libre », à jouer avec des chiots de la ferme dans laquelle nous étions accueillis : moments de bien être ressenti par un enfant avec ces compagnons de jeu qui me faisaient la fête dès que je revenais vers eux. Premières découvertes de l’accueil inconditionnel.

 

  • le chat de nos voisins de l’époque était associable avec tout le monde, y compris avec ses maîtres qui ne pouvaient pas l’approcher, et encore moins le toucher. Ce même chat venait  de lui même à ma rencontre et sautait sur mes genoux quand j’étais assise, et se mettait à ronronner. Cette question est toujours présente en moi : qui choisit qui ? Est-ce vraiment le maître qui choisit l’animal, ou l’animal qui choisit son maître ?

 

  • un boxer que je ne connaissais pas, tenu en laisse par sa maîtresse s’est approché de moi dans la rue, et m’a fait la fête. Cela a donné naissance à une relation qui a duré de nombreuses années avec cette dame. Avec le recul, il s’agissait, outre la relation avec ce chien, d’une super expérience sociale de mise en relation d’humains par le biais de l’animal.

 

J’étais fascinée par cet attrait réciproque, cette relation qui s’effectuait spontanément, sans jugement, sans question, sans avoir à prouver quoique ce soit… les choses allaient de soi, coulant de source…

Les Hommes semblaient tellement plus compliqués !

Ces relations me comblaient, et visiblement comblaient également les animaux, puisqu’ils en redemandaient !

Puis lorsque j’ai eu, pour la première fois à 40 ans un chien « à moi », j’ai vécu avec lui des expériences qui sont allées bien au-delà de la simple relation affective. Ce vécu m’a poussée à creuser la question de la relation « Homme- Animal ».

Professionnelle de santé, j’avais besoin de comprendre ce qui se jouait, au niveau affectif, sensoriel, psychique, au niveau de la communication non verbale…

De plus, étant entourée de personnes « cérébrales, analytiques, scientifiques… », il me fallait donc étayer mon intuition et mes sensations, afin d’être crédible, comprise, de pourvoir expliquer et partager sur ce sujet.

J’ai alors effectué de nombreuses recherches dans la littérature, et j’ai suivi une formation pour être diplômée de Thérapie avec le Cheval, formation qui m’a beaucoup apportée et enrichie.

Puis en 2015, j’ai associé à mon activité de Coaching la Médiation Animale avec Iska, une chienne formée par Handi’Chiens.

La force du binôme que je constitue avec Iska, réside dans les formations suivies par chacune de nous deux, ainsi que dans la complémentarité et complicité qui se sont construites au fil des mois.

 

5 Comment ta pratique de la médiation animale avec Iska s’inscrit-elle dans ton itinéraire professionnel ? Dans quel contexte as-tu décidé de t’engager dans cette pratique sous la forme d’un travail avec une chienne ?

Après avoir exercé 30 ans, dont 20 en tant que cadre Infirmier, dans le secteur sanitaire (hospitalier, extra-hospitalier) et médico-social, j’ai suivi une formation afin de me réorienter vers le Coaching.

En effet, l’évolution de la situation dans les institutions de Santé et notamment  du contexte hospitalier, ne correspondait plus à ce que je souhaitais vivre au niveau humain et ne me permettait pas un exercice professionnel en accord avec mes valeurs de respect, de qualité, d’écoute, d’accompagnement…

J’ai donc pris la difficile décision de « lâcher » la sécurité pour une réorientation professionnelle, m’établir en libéral et mettre à profit mes expériences personnelles et professionnelles.

Mon cœur de métier et mon parcours professionnel me permettent d’accompagner les personnes confrontées à des accidents de la vie : situations de Handicap, graves maladies, maladie d’Alzheimer, burn out…

De plus, ayant expérimenté personnellement les bienfaits des contacts avec l’animal, et ayant suivi cette double formation avec le cheval et le chien, c’est donc tout naturellement que je propose (aucune obligation) que les séances de coaching puissent se dérouler avec Médiation Animale.

 

6 Comment s’est développée ta relation avec cette chienne, Iska ? Comment ressens-tu cette relation sur le plan personnel ?

Iska est arrivée dans  notre famille en Juin 2015.

Ma relation avec Iska  s’est développée en fonction d’expériences vécues en commun au fur et à mesure du temps. Il peut s’agir

  • d’expériences professionnelles lors des séances
  • d’expériences de la vie quotidienne : ballades dans la rue, dans la nature, rencontres avec des amis, trajets en transport en commun…

Il s’agit de vivre ensemble le maximum d’expériences, d’être attentif à la manière dont Iska se comporte, réagit face à des situations et contextes non expérimentés, ce qu’elle semble ressentir, aimer, ne pas aimer …

Il peut s’agir de situations qui nous sont imposées, ou de situations que je « provoque » afin de  tester ses attitudes, et ses comportements réactionnels. En effet, cela participe à la fois

  • à une meilleure connaissance de la chienne,
  • à une analyse de  ma réaction face à un comportement nouveau
  • et ainsi améliorer notre interaction et collaboration si nous sommes un jour confrontées à une situation semblable dans un cadre professionnel

 

En parallèle, Iska est pour moi une source d’inspiration et peut même être un « modèle ». J’ai en tête par exemple la notion de « confiance ».

 

Iska ne se pose pas de question pour savoir si elle va plaire, si la relation avec cet humain qu’elle a en face d’elle va bien se passer.

Elle y va, elle fonce, sûre d’elle. Elle a confiance

  • en elle (en sa beauté, sa gentillesse, son amour pour l’homme, son « pouvoir de séduction »…)
  • et dans l’humain qu’elle rencontre pour la première fois, certaine de l’intérêt, voire de l’amour qu’il va lui porter…).

Les animaux eux, vivent dans « l’ici et maintenant ». Ils ne calculent pas. Ils ne mentent pas.

La simplicité et la confiance avec laquelle Iska aborde les humains me surprennent toujours. Je ne peux m’empêcher de comparer son attitude à l’attitude si fréquente chez les humains, et aussi parfois chez moi :

  • nous nous posons beaucoup de questions pour savoir si nous sommes assez ceci, pas trop cela, si nous avons les compétences, ou les facultés pour…

Finalement, avons-nous suffisamment conscience de notre valeur et identité propre ?

  • des doutes peuvent nous envahir lorsque nous rencontrons une nouvelle personne : va-t-elle nous accepter, nous reconnaître à notre juste valeur…

En réalité, faisons-nous suffisamment confiance à l’être humain qui est en face de nous ? Ne nous arrive-t-il pas souvent de soupçonner le mal ?

Je peux donc résumer la politique que j’adopte avec Iska en ceci :

  • partager le plus de situations possibles en passant du temps ensemble,
  • ne pas hésiter à sortir des sentiers battus.

 

7 Cette pratique de la relation animale témoigne d’un regard nouveau envers les animaux. Y vois-tu une dimension spirituelle ?

Pour répondre à la dimension spirituelle, je m’appuie sur la culture judéo-chrétienne. Le livre de la Genèse propose le récit de la Création et l’apparition d’une faune diversifiée. Les animaux sont donc bien complètement intégrés à la Création, œuvre du Dieu Créateur.

Avant le déluge, Dieu a pris soin de sauvegarder chaque espèce, et se donne, en quelque sorte, les moyens de respecter et de préserver, l’écosystème si complexe qu’Il avait établi.

D’autre part, la Bible cite de nombreux exemples où les animaux ont une part active et positive, en interaction avec les humains : on pourra juste citer, l’ânesse l’ânon, la colombe, les corbeaux….

Et Jésus dans ses paraboles utilise à plusieurs reprises les animaux comme éléments de comparaison et d’explication : les brebis, les passereaux….

Béatrice Ginguay

 

Autre article de Béatrice Ginguay :

« De cadre infirmier à coach de vie » :

https://vivreetesperer.com/?p=1943

Le secret d’une résistance non-violente efficace

Gagner la paix et obtenir justice à travers la non violence

jamila-headshotA travers le monde, nous voyons les ravages engendrés par les guerres. La violence répond à la violence. De grandes souffrances en résultent. Est-il possible d’échapper à cet engrenage ?

Jamila Raqib peut nous apporter une réponse à cette question. En effet, non seulement  travaille-t-elle depuis treize ans à développer des stratégies et des pratiques d’action non violente dans des organismes comme Albert Einstein Institution ou le Center for International Studies au Massachusetts Institute of Technology (1),  mais elle a elle-même vécu l’expérience d’une situation de guerre et de violence. Ainsi, pouvons-nous entendre son témoignage et son enseignement dans une vidéo de Ted Talks Live (2).

Afghane, Jamila Raqib est née en Afghanistan, six mois après l’invasion soviétique et elle a vécu alors dans un climat de souffrance et de peur. « Ces expériences précoces ont grandement impacté ma pensée sur la guerre et les conflits. J’ai appris que lorsqu’une question fondamentale est en jeu, la majorité des gens ne considèrent pas l’abandon. Dans ce genre de conflits, quand les droits des gens sont enfreints, que les pays sont occupés, qu’ils sont opprimés et humiliés, ils ont besoin d’un moyen puissant pour résister et riposter. Alors, peu importe à quel point la violence est destructrice et terrible, ils l’utiliseront ».

Alors, que faire ? Comment résister à cet engrenage maléfique ?

« Il n’y a qu’une seule solution : « Leur offrir un outil qui soit un moyen au moins aussi puissant et efficace que la violence ». Pendant ces treize dernières années, Jamila Raquib a travaillé en ce sens. « Elle a enseigné à des personnes se trouvant dans les situations les plus difficiles du monde à utiliser la lutte non-violente pour mener des conflits ».

De fait, l’action non violente est plus répandue que l’on ne pense. N’est-ce pas ainsi que beaucoup de droits ont été gagnés au cours des dernières décennies ? Mais, ces modes d’action n’ont pas été suffisamment étudiés. On en découvre aujourd’hui la grande variété.

On doit donc élargir notre champ de vision concernant les formes d’action non violente. Ces formes sont nombreuses. Et coordonnées dans une stratégie, elles sont particulièrement efficaces

 « J’ai récemment rencontré un groupe d’activistes éthiopiens et ils m’ont dit une chose que j’entend souvent. Ils m’ont dit avoir déjà essayé la non-violence et que cela n’avait pas marché. Il y a des années, ils ont manifesté. Le gouvernement a arrêté tout le monde, marquant la fin du mouvement ». Mais la lutte non-violente ne se résume pas à la manifestation. Elle se manifeste à travers toute une série de méthodes. « Ma collègue et mentor, Gene Sharp, a identifié 198 méthodes d’action non violente. Et manifester n’en est qu’une ».

Jamila Raquib mentionne et décrit un bel exemple de victoire remportée à travers une action non-violente ayant joué sur plusieurs registres. « Jusqu’il y a quelques mois, le Guatemala était dirigé par d’anciens militaires corrompus ayant des liens avec le crime organisé. La plupart des gens le savaient, mais se sentaient impuissants face à cela, jusqu’à ce qu’un groupe de citoyens, 12 personnes ordinaires, lance un appel à leurs amis sur facebook de se retrouver sur la place centrale avec des pancartes disant : « Reununcia Ya »  (Démissionnez). A leur grande surprise, 30000 personnes sont venues. Ils ont continué pendant des mois et les protestations se multipliaient… ». Le président refusant de démissionner, « les activistes ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas juste protester et demander au président de démissionner. … Ils ont organisé une grève générale. Les gens de tout le pays refusèrent de travailler… En cinq jours, le président et des douzaines d’autres membres du gouvernement avaient démissionné ».

Des actions isolées ne peuvent l’emporter. Une stratégie globale est nécessaire. « Il a fallu des milliers d’années pour développer la technique de guerre avec d’énormes ressources… Pendant ce temps, la lutte non-violente est rarement systématiquement étudiée…. Apprenons plus des actions non-violentes ayant fonctionné et comment les rendre plus puissantes…. Avec l’innovation humaine, nous pouvons rendre la lutte non–violente plus puissante que les nouvelles technologies de la guerre. Le plus grand espoir de l’humanité réside non pas dans la condamnation de la violence, mais dans l’obsolescence de la violence ».

Nous voici à un tournant (3). Voici une perspective plus vaste qui s’ouvre à nous.

J H

 

(1)            Biographie de Jamila Raqib sur le site du Albert Einstein Institute : https://www.aeinstein.org/about/people/jamila-raqib/

(2)            « Le secret d’une communication non-violente efficace ». Une vidéo de Jamila Raqib at TED talks live. Traduction en français par Morgane Quilfen : https://www.ted.com/talks/jamila_raqib_the_secret_to_effective_nonviolent_resistance/up-next?language=fr

(3)            « Une bonne nouvelle : La paix, çs s’apprend ». Entretien avec Thomas d’Ansembourg : https://vivreetesperer.com/?p=2596                                 « Mandela et Gandhi, acteurs de libération et de réconciliation » : https://vivreetesperer.com/?p=2739

 

Puissance du dialogue

 

indexSi nous avons conscience que la relation est au cœur du monde,  au cœur de notre société et que c’est ainsi que tout se tient, alors c’est dire l’importance de la qualité de cette relation, l’importance d’un dialogue constructif. Chaque semaine,  Gabriel Monet, nous offre un commentaire sur l’actualité . A partir d’une information particulièrement bien choisie et étudiée, il nous apporte une réflexion de fond sur une question concernant notre manière de vivre en société. «  Alors que l’information nous arrive de toutes parts, chercher du sens dans ce qui se trame, se vit, se joue autour de nous, est essentiel. Il est utile de discerner les marqueurs d’une société en mouvement, de s’enthousiasmer ou de s’offusquer, de se laisser interpeller par des initiatives constructives ou de critiquer des attitudes discutables » (1).  Dans ce « billet d’humeur » du 26 avril 2018, Gabriel Monet trouve dans l’actualité de bons exemples pour aborder la question du dialogue.  Il en montre le sens profond, c’est à dire la recherche d’une compréhension mutuelle. C’est bien ce à quoi une inspiration chrétienne nous appelle. Toute la démarche de Gabriel, son style en forme  de va et vient, et justement de dialogue débouche sur cette recherche de compréhension, une compréhension  en mouvement, une compréhension qui va de l’avant. Nous voyons ici une heureuse conjonction entre l’inspiration biblique,  une sagesse telle qu’elle s’exprime dans certaines traditions, l’approche compréhensive de la réalité présente dans les sciences sociales.  En présentant cette chronique à ses correspondants, Gabriel Monet citait un proverbe africain : « Une de nos armes les plus puissantes est le dialogue ».  Puissance du dialogue ! Face à la violence, c’est bien le cas.  Et rien n’est plus urgent que d’ « Oser la fraternité » (1), ce qui est aussi le titre du livre récent dans lequel Gabriel Monet a rassemblé ses chroniques de l’année 2016-2017. 

 

J H

 

Gabriel Monet. Oser la fraternité : regards chrétiens sur l’actualité de 2016-2017 (accessible sur Amazon)

Un dialogue inter-essant

Comment trouver un accord si l’on ne dialogue pas ? Il est bien des situations où des divergences de vue peuvent exister, or, à moins de renoncer à toute relation ou vainement espérer que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, la rencontre et le dialogue semblent un passage obligé pour aller dans le sens de la conciliation. Mais passer du principe à la réalité est souvent plus complexe qu’il n’y paraît, comme l’actualité nous en donne plusieurs exemples.

Emmanuel Macron vient d’achever une visite officielle aux Etats-Unis, et a clairement cherché à être conciliant avec son homologue américain. Au point que les commentateurs parlent d’une « bromance » entre Donald Trump et le Président français. Ce mot qui est une contraction des mots « brothers » (frères) et « romance » laisse entendre qu’il existe une amitié profonde. On sait pourtant les divergences de fond comme de forme que Donald Trump suscite chez nombre de Français, et sans nul doute aussi chez Emmanuel Macron. Cette stratégie du lien et du dialogue convivial malgré certains désaccords est-elle la bonne ? Elle présente en tous cas l’avantage d’une dynamique positive et d’une minoration de ce qui dérange au bénéfice de ce qui rapproche. Mais en même temps, permet-elle de mettre en évidence ce qui ne va pas et ainsi d’essayer de faire bouger les lignes ?

L’approche inverse aurait été de ne pas dialoguer. C’est ce qu’ont fait les dirigeants coréens pendant bien longtemps avec les tensions que l’on connaît. Or l’éclaircie ouverte pour un début d’échange lors des derniers Jeux Olympiques génère diverses avancées, puisque des parlementaires des deux pays ont pu se rencontrer en Suisse fin mars, et le sommet du vendredi 27 avril entre les dirigeants des deux Corées à la Maison de la Paix dans le village frontalier de Panmunjom marque un tournant. Ainsi, au boycott semble succéder une forme de compromis relationnel qui pourra peut-être un jour tendre vers une réunification.

Il est vrai que sans dialoguer, il y a peu de chance de trouver un accord. C’est pourtant ce qu’ont décidé les syndicats cheminots en boudant la dernière session du cycle de discussions initiée par la Ministre des transports, Elisabeth Borne. Les relations entre deux interlocuteurs peuvent parfois ressembler à un bras de fer, où l’on espère l’emporter en appliquant la loi du plus fort. Faire pression peut faire partie de la résolution d’un conflit, mais c’est rarement un schéma gagnant lorsque c’est la seule approche. Concernant la SNCF, la force de la loi de la part du gouvernement peut s’avérer trop autoritaire, alors que la force de la grève montre aussi ses limites et ses inconvénients pour tous. Toujours est-il que se voir ou se parler mais sans s’écouter et sans être prêt à évoluer, est stérile et n’avance pas à grand-chose.

C’est pourquoi arrêter ou refuser le dialogue peut parfois se comprendre. Il est même des situations où le boycott devient un message en soi, une manière de signifier un désaccord. C’est ce qu’a choisi de faire Hugues Charbonneau, co-producteur du film « 120 battements par minute », Grand Prix du festival de Cannes 2017 et César du meilleur film 2018. Convié le 26 avril au dîner organisé à l’Elysée par le couple présidentiel en l’honneur du cinéma, il a décliné l’invitation et l’a fait savoir, et ce, pour dénoncer la loi « asile et immigration ». Le « sans moi » d’Hugues Charbonneau est finalement peut-être malgré tout une manière de dialoguer puisqu’il ajoute, comme pour continuer le débat : « Comment se réjouir après l’abjecte loi votée dimanche par votre majorité ? […] Votre politique est violente, vous faites ce que le vieux monde sait faire de mieux : stigmatiser et exclure ». Mais à se lancer de telles invectives, c’est plutôt un dialogue… de sourds.

On ne peut pas tous penser et agir de la même manière, c’est même plutôt une bonne chose. Ceci étant, il faut tenter de s’entendre, de collaborer, de trouver des compromis. Dialoguer est alors essentiel. Mais dialoguer n’est ni de l’ordre de la querelle, ni une simple succession d’avis, mais un échange fécond qui passe nécessairement par une écoute vraie et un partage en vue de se comprendre mutuellement, éventuellement de se rapprocher. Un véritable dialogue est forcément « intéressant », dans le sens originel du terme qui vient du latin inter esse, c’est-à-dire « être entre ». Dès lors que la parole peut se dire, qu’elle circule entre les êtres, comme le mot « dialogue » le laisse entendre (logos = parole, dialogue = parole échangée), la communication devient plus fructueuse, elle ouvre un avenir, elle est « créatrice ». Dans la Bible, la parole et le dialogue jouent un rôle clé, et parfois de manière presque surprenante le dialogue est toujours favorisé. Après la chute, Dieu prend l’initiative de la rencontre et du dialogue, bien qu’Adam et Eve aient agi dans un sens opposé à la volonté divine. Jésus, lui, n’a pas hésité à dialoguer avec tous, même avec ceux qui pouvaient sembler s’opposer à lui, que ce soit une femme samaritaine, des pharisiens… avec des résultats souvent réjouissants. Nul doute que nous gagnerons à faire de même et à toujours oser le risque du dialogue !

Gabriel Monet

La prière selon Agnès Sanford, une pionnière de la prière de guérison

  A la rencontre de Dieu en dedans et en dehors de nous

Notre manière de prier dépend pour une part de nos représentations de Dieu, mais aussi de la relation qu’il a avec nous et avec le monde. De plus en plus, nous percevons aujourd’hui la réalité dans une perspective d’interrelation, d’interconnection. Cette perspective s’appuie sur des convergences scientifiques (1). Elle se manifeste sur le plan spirituel. Tout se tient (2). Et aujourd’hui, par rapport à d’anciens clivages, elle s’inscrit dans une pensée théologique comme celle de Jürgen Moltmann qui développe une pensée holistique, particulièrement dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (3). Tout simplement, « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’Etre » (Actes 17.27).

Très tôt, dès la fin de la première moitié du XXè siècle, puisque son livre le plus diffusé : « The Healing Light » date de 1957, Agnès Sanford (4), pionnière de la prière de guérison, a anticipé cette perspective holistique. Ce livre nous montre comment l’énergie divine suscite la guérison  dans tout notre être si nous nous ouvrons à Dieu et faisons appel à lui. Cependant, ce n’est pas ce thème qui retient ici notre attention. Nous voulons seulement mettre en évidence comment Agnès Sanford reconnaît la présence de Dieu et en quoi cette reconnaissance oriente sa prière.  Pour cela, nous avons extrait de son livre deux textes significatifs (5

« Nous vivons en Dieu, c’est en lui que nous respirons. Que nous le voulions ou non, il en est ainsi. Mais nous absorbons plus ou moins de sa force de vie selon que nos âmes sont plus ou moins réceptives. Trop souvent, nous fermons nos ouïes spirituelles, sans les laisser, ou si peu, pénétrer par cette force, et notre chair demeure sans vie et semble comme se rétracter…. ». Ce processus d’affaiblissement et de rigidification a des conséquences pour notre santé.

« Le remède à tout cela, c’est plus de vie, plus de lumière. Et c’est là précisément ce que nous apportent nos prières pour la santé et nos actes de pardon, un afflux de lumière et de vie. Cette vie spirituelle stimule la circulation, libère dans le corps l’énergie naturelle. Elle accroit aussi la vigueur de notre pensée, elle la rend plus calme, forte de cette paix qui naît d’une activité non pas ralentie, mais augmentée. Et elle accroît aussi notre réceptivité spirituelle, en nous rendant sensible à l’action divine,  non seulement au dedans de notre corps, mais dans le monde qui nous entoure ».

« A mesure que nos prières, jointes à notre discipline mentale et à nos actes de pardon, créent en nous le sentiment toujours plus vivant et plus assuré de la présence de Dieu en nous, nous sommes toujours plus sûrs de posséder une source intérieure où nous pouvons puiser à volonté et nous sommes toujours plus conscient aussi qu’il existe en dehors de nous une source de puissance ; c’est une influence qui nous protège et nous guide, qui enveloppe de sa bénédiction notre travail de chaque jour et qui conduit nos pas sur le chemin de la paix.

Comme on l’a dit : Dieu est à la fois transcendant et immanent. Et son immanence est la clé de sa transcendance. En d’autres termes, la lumière de Dieu brille en nous et hors  de nous et c’est en apprenant à la recevoir en nous que nous commençons à l’apercevoir hors de nous.

Puisqu’il en est ainsi, cherchons le avec joie en dehors et au dedans. Comme chaque matin, nous sommes inondés de sa lumière, remplissons de même nos journées de sa suprême direction, de son secours, de sa protection. Rendons grâce de ce que sa puissance est à l’œuvre non seulement en nous, mais dans le monde qui nous entoure. Soyons reconnaissant pour la journée qui est devant nous et plaçons-la d’avance dans la lumière de l’amour divin… ».

Ainsi, pour Agnès Sanford, il y a interrelation entre Dieu et l’homme, et, en l’être humain, entre l’esprit et le corps. Quelques décennies plus tard, cette vision intégrée est éclairée par l’approche théologique de Jürgen Moltmann.. Dieu n’est pas éloigné et distant de notre expérience. Il est proche de nous, actif en nous et dans le monde. « Il y a immanence de Dieu dans l’expérience humaine et transcendance de l’homme en Dieu ». Dans le christianisme, « L’Esprit de Dieu est la puissance de vie de la résurrection qui, à partir de Pâques, est répandue sur toute chair pour la rendre vivante à jamais… le corps  devient « le temple de l’Esprit Saint ». Comme Agnès Sanford, Jürgen Moltmann voit en Dieu une force agissante, une force de vie. « L’expérience de l’Esprit de Dieu est comme l’inspiration de l’air. L’Esprit de Dieu est le champ  vibrant et vivifiant des énergies de la vie. Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous. Les mouvements de notre vie sont ressentis par Dieu et nous ressentons les énergies vitales de Dieu »

Ainsi, lorsque nous prenons conscience de la présence de Dieu dans tout notre être, Christ en nous, nous pouvons prier non seulement en regardant à Dieu au delà de nous–même, mais aussi à partir de sa présence transformatrice en nous. Comme l’écrit, Agnès Sanford, « nous cherchons Dieu en dehors et en dedans ». Et nous recevons de Lui une vie abondante.

 

J H

 

(1 Dans une préface au livre majeur de Jean Staune : Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Presses de la Renaissance, 2007, l’astrophysicien, Trinh Xuan Thuanh, écrit : « En physique, après avoir dominé la pensée occidentale pendant trois cent ans, la vision newtonienne d’un monde fragmenté, mécaniste, déterministe a fait place à celle d’un monde holistique, indéterminé et débordant de créativité ». On pourra voir, entre autres : « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique. D’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars », traduit en français : « les pouvoirs de la conscience » (2013) :  http://www.temoins.com/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-lesprit-humain-un-nouvel-horizon-scientifique-dapres-le-livre-de-mario-beauregard-l-brain-wars-r/

« Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement : Thierry Janssen. La solution intérieure. Fayard, 2006) :

http://www.temoins.com/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-lespritguerir-autrement/

(2) «  Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte des nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans une interrelation. Dans cette représentation, Dieu reste le même toujours présent et agissant à travers le temps (Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie »). Voir : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405

(3) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf , 1999.  Citations présentées dans cet article : p 24 et 123. Introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com

(4) Dans la dernière édition du livre : « The Healing Light », Agnès Sanford est présentée en ces termes : « Agnès Sanford apparaît comme une enseignante et une praticienne majeure du ministère de guérison au sein de l’Eglise. Son message est même encore plus actuel aujourd’hui comme le don de guérison a gagné une large reconnaissance dans la communauté chrétienne toute entière. Ses écrits ont eu une grande influence sur le développement de ministères de guérison tels que ceux de Francis MacNutt et Ruth Carter Stapleton… ». On a pu la considérer comme « la grand-mère du mouvement de guérison ». On pourra consulter le site qui lui est dédié : http://heyjoi.tripod.com

(5)  Sanford (Agnès). The Healing Light. Ballantine, 1983. Quelques années après sa première parution en 1947, le livre a été traduit en français : Sanford  (Agnès). La lumière qui guérit. Delachaux et Niestlé, 1955 (Cette édition est épuisée , mais parfois accessible en occasion). Les deux citations : p 62 et 66 dans « The Healing light » ; p 66 et 70 dans « La lumière qui guérit » (Nous avons repris cette traduction).

 

Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie », on pourra voir aussi :

« Quelle est notre représentation de l’être humain » :

Quelle est notre représentation de l’être humain ?

« Vivre l’expérience de la présence de Dieu » :

Vivre l’expérience de la présence de Dieu

 

Dieu vivant : rencontrer une présence

Selon Bertrand Vergely. Prier, une philosophie

 

9782355362583 Nous avons de plus en plus conscience que l’approche intellectuelle dominante dans le passé tendait à diviser la réalité, à en opposer et en séparer les éléments plutôt que d’en percevoir les interrelations et une émergence de sens dans la prise en compte de la totalité. Ainsi, dans « Petite Poucette », Michel Serres met en évidence des changements que la révolution numérique suscite actuellement dans la manière d’être et de connaître (1). Il constate que l’ordre qui quadrillait le savoir est en train de s’effriter. Et il remet en cause les cloisonnements universitaires. « L’idée abstraite maitrise la complexité du réel, mais au prix d’un appauvrissement de la prise en compte de celui-ci ». Et, de même, dans une œuvre théologique de longue haleine, Jürgen Moltmann montre l’émergence d’une nouvelle approche intellectuelle et culturelle qui se départit du penchant dominateur à l’œuvre dans la prépondérance d’une pensée analytique généralisée. Ainsi, dans son livre : « Dieu dans la création » (2), paru en France en 1988, Jürgen Moltmann écrit : « Le traité de la création dans son rapport écologique doit s’efforcer d’abandonner la pensée analytique avec ses distinctions sujet-objet, et apprendre une pensée nouvelle communicative et intégrante. Dans cette critique de la pensée analytique, Moltmann évoque l’antique règle romaine de gouvernement : « divide et impera » (diviser et régner). Aujourd’hui, des sciences nouvelles comme la physique nucléaire et la biologie mettent en œuvre des approches nouvelles. « On comprend beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant éventuels, l’observateur humain étant inclus » (p 14). Cette approche préalable appuie une part de la réflexion de Bertrand Vergely dans son livre : « Prier, une philosophie » (3).

 

En effet, aux yeux de certains, la prière et la philosophie sont deux domaines séparés. Au contraire, Bertrand Vergely met en évidence les interrelations. Ainsi met-il en exergue une pensée de Wittgenstein : « La prière est la pensée du sens de la vie ». « Quand on considère les relations entre philosophie et religion, celles-ci s’opposent. Si on envisage philosophie et religion de l’intérieur, il en va autrement. Au sommet, tout se rejoint » (p 15). Et, de même, Bertrand Vergely montre qu’il n’est pas bon, de séparer l’action et la prière. Il ouvre des portes par rapport au déficit engendré par un exercice de la pensée autosuffisant et coupé de la réalité existentielle. « La modernité, qui poursuit un idéal de rationalité et de laïcité, divise la réalité en deux, avec d’un côté, l’action, et, de l’autre, la prière. Les choses sont-elles aussi simples ? » (p 10). De fait, « il y a quelque chose que nous avons tous expérimenté, à savoir la présence. Devenir présent à ce que nous sommes éveillant la présence en nous, on fait advenir la présence de ce qui vit autour de nous » (p 11)… Mettons nous à vivre dans le présent, on rentre dans la présence. En restant dans la présence, on rencontre ce qui demeure stable à travers le changement et le multiple… Présence emmenant loin au delà de soi vers le supra-personnel, le supra-conscient comme le dit Nicolas Berdiaeff. « Nul ne sait ce que peut le corps » dit Spinoza. La présence est en relation avec une présence qui dépasse tout, la divine présence… (p 12). D’où l’erreur de penser que la condition humaine est fermée. Quand on prie en allant de toutes ses forces dans son être profond, ce qui semble impossible devient possible » (p 13).

Bertrand Vergely nous parle à la fois en philosophe et en chrétien de confession et de culture orthodoxe. Ce livre nous emmène loin : « Prier ? Prier les dieux, Prier Dieu ? ; Quand la prière humanise ; Quand la philosophie spiritualise ; Quand la prière divinise ». Il témoigne d’une immense culture. Certes, nous pouvons parfois nous sentir dépassé par le langage philosophique. Mais l’auteur recherche l’accessibilité, notamment en découpant le livre en de courts chapitres. Il n’est pas nécessaire de le lire en continu. Et, dans cette présentation, nous ne couvrirons pas l’ensemble de l’ouvrage ; nous nous centrerons sur une démarche de l’auteur qui rejoint quelques autres, celles de Jürgen Moltmann et de Richard Rohr.

 

Dons et requêtes de la vie

 

Dans son approche, à de nombreuses reprises, Bertrand Vergely appelle à la conscience de la vie dans tout ce qu’elle requiert et tout ce qu’elle entraine. C’est ainsi qu’on débouche sur une démarche spirituelle et sur la prière.

Et, pour cela, on doit aussi se démarquer d’un monde dominé par notre intellect prédateur et sa rationalité morbide ».

« Transformer son intelligence. Laisser passer le Vivant, l’Unique en soi. On y parvient par la métanoïa, la sur-intelligence. Quand on vit, il n’y a pas que nous qui vivons. Il y a la Vie qui se vit en nous et qui nous veut vivant. Il y a quelque chose à la base de l’existence. Un principe agissant, une force, un premier moteur, comme le dit Aristote, une lumière qui fait vivre. (p 220)… Quand nous rentrons en nous-mêmes afin de savoir qui nous sommes, ce n’est pas un moi bavard que nous découvrons, mais un moi profond porté par la Vie avec un grand V. d’où la justesse de Saint Augustin quand, parlant de Dieu, il a cette formule : « la vie de ma vie » (p 221).

Répondons-nous oui à la vie ? Vivons-nous vraiment ? Ou bien sommes-nous prisonniers de principes auxquels nous nous assujettissons ? La morale et la religion peuvent ainsi s’imposer comme un esclavage. Au contraire, « la morale et la religion sont en nous et non à l’extérieur… C’est ce que le Christ rappelle. L’enfant, qui est la vie même, est le modèle de la morale et de la religion. Ce que n’est pas le pharisien qui ne se laisse plus porter par la vie qui est en lui… » (p 236).

« La Vie. La Vie avec un grand V. Ce n’est pas un terme grandiloquent. Il y a en nous une présence faisant écho à ce que nous avons de plus sensible, d’où la justesse de parler de divine présence.

C’est « une conscience profonde à la base de l’étonnante capacité que nous avons de demeurer le même à travers le temps et que Jankélévitch appelle l’ipséité ». C’est « une conscience vivante avec laquelle rien n’est désincarné, ni impersonnel, le moi étant lié au monde comme le Je est lié au Tu et le Tu au Je pour reprendre l’idée majeure qui guide la pensée de Martin Buber (p 237).

« Chaque fois qu’un sujet se met à être le monde au lieu d’être en face de lui, apparaît une expérience lumineuse, étincelante, faisant tout exister et quelque chose de plus. Une liberté supérieure, divine » (p 238).

 

Dieu vivant

 

On peut s’interroger sur les raisons de croire en Dieu en terme de réponse à une recherche de cause. « Quand la raison cherche à démontrer l’existence de Dieu par la raison banale, elle ne convainc personne… Quand une cause a été démontrée rationnellement, nul besoin d’y croire… » (p 225). La relation à Dieu est d’un autre ordre. Elle implique notre être profond. « Il faut exister pour comprendre quelque chose à l’existence de Dieu. Quand on est dans la raison  objective qui aborde le monde à distance, il est normal qu’il n’existe pas » (p 226)… Ainsi la foi implique et requiert une intensité de vie.

« Le monde occidental ne croit plus aujourd’hui que Dieu est la cause du monde. En revanche, quand Dieu est pensé comme sur-existence, il en va autrement. Il se pourrait que nous ne soyons qu’au début de la vie de Dieu et que son temps ne soit nullement passé. La preuve : quand on pense Dieu, on pense toujours celui-ci sur un mode théiste. Jamais ou presque sur un mode trinitaire. D’où deux approches de Dieu pour le moins radicalement différentes. Posons Dieu en termes théistes. Celui-ci est un principe abstrait sous la forme d’une entité dans un ciel vide. Il est comme la raison objective. Unique, mais à quel prix ! A part lui, table rase… Posons à l’inverse Dieu en termes trinitaires. Dieu n’est plus Dieu, mais Père, source ineffable de toute chose. Il n’est plus seul, mais Fils, c’est à dire passage du non manifesté au manifesté… Dans le visible et non dans l’invisible. Dans le théisme, on a affaire à un Dieu, froid, glacial même. Avec le Dieu trinitaire, on a affaire à une cascade de lumière, d’amour et de vie… (p 227-228).

Importance du passage. Des Hébreux au Christ, une continuité, un même souffle : diffuser la vie et non la mort, et, par ce geste, glorifier le Père, la source de vie, source ineffable. On est loin du Dieu qui ne fait qu’exister, du Dieu cause. Le Dieu qui cause le monde ne le transforme pas. Le Dieu qui sur-existe le transforme. Il fait vivre en appelant l’homme à la vie afin qu’il sur-existe en devenant comme lui hyper-vivant » (p 229).

 

Dieu vivant, communion d’amour, puissance de vie

 

En lisant le livre de Bertrand Vergely sur la prière, nous voyons de convergences avec le courant de la pensée théologique que nous avons découvert dans les ouvrages de Jürgen Moltmann, puis dans le livre de Richard Rohr : « The Divine Dance » (4).

Dans les années 1980, Jürgen Moltmann a été le pionnier d’une nouvelle pensée trinitaire qui nous présente un Dieu relationnel, un Dieu communion. Dans son livre le plus récent : « The living God and the fullness of life » (5), il écrit : « la foi chrétienne a elle-même une structure trinitaire parce qu’elle est une expérience trinitaire avec Dieu »… « Nous vivons en communion avec Jésus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le Père de Jésus-Christ, et avec Dieu, l’Esprit de vie… Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu. Nous vivons avec Dieu, c’est à dire dans son histoire trinitaire avec nous » (p 60-62).

De même,  Robert Rohr nous parle de la révolution trinitaire comme l’émergence d’un nouveau paradigme spirituel. Et, comme Moltmann, pour exprimer Dieu trinitaire, il emprunte aux Pères grecs, l’image de la « danse divine ». « Tout ce qui advient en Dieu, c’est un flux, une relation, une parfaite communion entre trois, le cercle d’une danse d’amour ».

Et comme Bertrand Vergely nous appelle à rencontrer Dieu à travers l’expérience, à travers le vivant, Richard Rohr raconte comment, découvrant le plein sens de Dieu trinitaire, à travers un livre savant, il l’a ressenti comme une expérience intérieure. « La Trinité n’était pas une croyance, mais une voie objective pour décrire ma propre expérience de la transcendance et ce que j’appelle le flux. La conviction venait de l’intérieur. Quelque chose résonnait en moi ».

Le premier chapitre du livre de Jürgen Moltmann : « L’Esprit qui donne la vie » (6) s’intitule : « Expérience de la vie, expérience de Dieu ». C’est donner à l’expérience une place primordiale. « L’expérience de Dieu devient possible dans, avec et sous toute expérience quotidienne du monde dès lors que Dieu est dans toute chose et que toute chose est en Dieu, et que, par conséquent, Dieu lui-même, à sa manière, fait « l’expérience de toute chose ».

La pensée trinitaire donne toute sa place à la troisième composante divine, l’Esprit de Dieu, l’Esprit qui donne la vie. » (7) L’agir de l’Esprit de Dieu qui donne la vie est universel et on peut le reconnaître dans tout ce qui sert la vie » (p 8). Il y a unité dans « l’agir de Dieu dans la création,  le rédemption et la sanctification de toutes choses » (p 27). « Les recherches conduisant à une « théologie écologique », à une christologie écologique et à une redécouverte du corps ont pour point de départ la compréhension hébraïque de l’Esprit de Dieu et présupposent l’identité entre l’Esprit rédempteur du Christ et l’Esprit de Dieu qui crée et donne la vide ». C’est pourquoi l’expérience de l’Esprit, qui donne vie, qui est faite dans la foi du cœur et dans la communion de l’amour, conduit d’elle-même au delà des frontières de l’Eglise vers la redécouverte de ce même Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les écosystèmes de la terre » (p 28).

Richard Rohr nous parle également du Saint Esprit comme « la relation d’amour entre le Père et le Fils. C’est cette relation qui nous est gratuitement donnée. Ou mieux, nous sommes inclus dans cet amour » (p 196). Dans la création, l’Esprit engendre la diversité et, en même temps, il est Celui qui relie et qui rassemble. Richard Rohr nous fait part d’un texte significatif de Howard Thurman, un inspirateur de Martin Luther King. « Nous sommes dans un monde vivant. La vie est vivante (alive) et nous aussi, comme expression de la vie, nous sommes vivant et portés par la vitalité caractéristique de la vie. Dieu est la source de la vitalité, de la vie et de toutes les choses vivantes » (p 189).

L’univers est relationnel. Il est habité. « Il est parcouru par le flux de l’amour divin qui passe en nous » (p 56). C’est un flux de vie. Dieu est la force de vie qui anime toute chose et nous invite à reconnaître sa présence.

Tout au long de son œuvre, Jürgen Moltmann a développé une théologie de la vie fondée sur la résurrection et manifestée dans une approche trinitaire. Il l’exprime bien cette démarche dans le titre de son dernier livre : « Le Dieu vivant et la plénitude de vie (5). « Ce que je souhaite faire ici est de présenter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance dont nous ne ressentions pas le besoin de nous détourner, mais qui nous remplisse de la joie de vivre » (p X).

Richard Rohr nous apporte une vision enthousiaste et libératrice de la présence divine en un Dieu trinitaire. « Dieu n’est pas un être parmi d’autres, mais plutôt l’Etre lui même qui se révèle… le Dieu dont Jésus parle et s’y inclut, est présenté comme un dialogue sans entrave, un flux inclusif et totalement positif, la roue d’un moulin à eau qui répand un amour que rien ne peut arrêter » (p 43).

Cette reconnaissance de la vie divine rejoint celle à laquelle nous appelle Bertrand Vergely dans son livre : « Prier, une philosophie ».

« Il y a en nous une présence faisant écho à ce que nous avons de plus sensible et de plus profond, d’où la justesse de parler d’une divine présence ». « Laissons passer le vivant… Quand on vit, il n’y a pas que ce que nous vivons. Il y a la Vie qui se vit en nous et qui nous veut vivant » (p 237 et 220).

J H

 

(1)            « Une nouvelle manière d’être et de connaître ». (Michel Serres. Petite Poucette) : https://vivreetesperer.com/?p=836

(2)            Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988

(3)            Bertrand Vergely. Prier, une philosophie. Carnetsnord, 2017

(4)            Richard Rohr. With Mike Morrell. The Divine Dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758

(5)            Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016 Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2697 et https://vivreetesperer.com/?p=2413

(6)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intégrale. Cerf, 1999

(7)            « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/?p=2751

 

Voir aussi : « L’émerveillement est le fondement de l’existence. Propos de Bertrand Vergely » : https://vivreetesperer.com/?p=1089

Odile Hassenforder. « La grâce d’exister » : https://vivreetesperer.com/?p=50

Jean-Claude Schwab. « Accéder au fondement de son existence » : https://vivreetesperer.com/?p=1295