Thomas d’Ansembourg : « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant »

Une campagne du mouvement Colibris pour une (r)évolution intérieure.

Face aux dysfonctionnements de notre société, le mouvement Colibris, qui puise son inspiration tout particulièrement chez Pierre Rabhi, appelle ses membres à des voies alternatives de reconstruction. « Soyons le changement ! ». Et « si la plus importante révolution à mener était votre (r)évolution intérieure ! ». Le mouvement Colibris vient donc de lancer une nouvelle campagne citoyenne dans ce sens. « Dans la continuité du travail réalisé autour des principaux leviers de la société : économie, agriculture, démocratie, énergie, Colibris souhaite passer un message fort et montrer que la vraie (r)évolution est celle qui nous amène à nous transformer nous mêmes pour transformer le monde » (1). Le mouvement Colibris a donc suscité une rencontre où une douzaine de participants ont apporté leur témoignage sur leur évolution intérieure. Ces messages ont été enregistrés sur de courtes vidéos que nous pouvons regarder avec respect et reconnaissance (2).

On trouvera parmi ces témoignages une intervention de Thomas d’Ansembourg. Sur ce blog, à deux reprises, nous avons fait connaître des vidéos de Thomas d’Ansembourg particulièrement éclairantes (3). Thomas sait nous parler de son expérience de vie et des clés de compréhension et de transformation dont il fait usage en psychothérapie. On trouvera ces mêmes qualités dans la vidéo que nous présentons ici, et qui, en quelques minutes, nous ouvre un chemin (4).

L’itinéraire de Thomas d’Ansembourg est rappelé au préalable en ces termes : « Thomas d’Ansembourg a exercé la profession d’avocat. Parallèlement, il s’est engagé dans une association d’aide concrète aux jeunes qui connaissent des problèmes de délinquance, violence, prostitution et dépendances de toutes sortes. Par cette double approche juridique et sociale, il s’est impliqué dans la gestion des conflits et la recherche de sens. Dans le souhait de comprendre la difficulté d’être en général et particulièrement la violence, Thomas a entrepris une psychothérapie. Il découvre alors la liberté de prendre du champ sur l’inconscient et mesure qu’il aurait pu passer sa vie, se croyant libre, alors qu’il était pris au piège de ses conditionnements éducatifs, habitudes de pensée et systèmes de croyances. Il décide de devenir psychothérapeute pour partager ces prises de conscience et accompagner d’autres personnes dans ces processus de cœur et de conscience. Il se forme à différentes approches et particulièrement à la méthode de communication non violente (CNV) avec son fondateur Marshall Rosenberg.

 

Quel est le message de cette vidéo ? Nous présentons ici quelques citations qui en sont extraites pour qu’elles nous accompagnent dans le chemin de réflexion ouvert par Thomas d’Ansembourg.

Evoquant son expérience d’avocat, Thomas d’Ansembourg évoque un manque de formation pour l’exercice de cette profession : « Nous éviterions bien des conflits si nous avions quelques clés de connaissance de soi, de compréhension des émotions, de capacité à mieux les gérer et les exprimer sans agresser, à exprimer ses besoins et à être à l’écoute des besoins des autres d’une façon ouverte et empathique et que cela faisait très clairement défaut dans nos éducations. Moi-même comme avocat, je n’ai pas reçu une clé d’écoute, pas une clé de compréhension de la mécanique relationnelle, pas une clé de gestion des émotions. J’étais éduqué pour faire des contrats, des plaidoiries, mais pas pour être à l’écoute d’un humain en difficulté ».

En s’orientant, parallèlement à son travail d’avocat, vers l’accompagnement de jeunes en difficultés, il s’est « vite rendu compte que quelques clés de connaissance de soi faciliteraient la vie collective : Apprendre à connaître ses émotions, à les démélanger les unes des autres, à identifier nos besoins, à leur donner des priorités, à ne pas les confondre avec nos envies, nos désirs qui sont changeants, multiples et dispersants, à être capables d’exprimer cela par des demandes tout en étant en empathie avec le besoin de l’autre dans la capacité d’écouter ce besoin même si il est différent, tolérer le désaccord et la différence et chercher ensemble des solutions négociées qui seraient satisfaisantes pour chacun ».

Thomas s’est alors engagé dans une psychothérapie. Il a senti « un pivotement intérieur » en prenant du champ sur l’inconscient : « J’aurais pu passer ma vie dans des enfermements » avec la prise de conscience que le mot : « enfer » peut s’appliquer à ceux-ci. Thomas d’Ansembourg est maintenant psychothérapeute depuis plus de vingt ans. Il encourage le développement d’une « intériorité citoyenne », une vie intérieure qui peut s’exprimer au service de la vie communautaire. « Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante : si nous prenons du temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ». « Et voilà, il m’est donc apparu qu’un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant (5). Il s’implique. Il laisse un sillage de bienveillance, de bienfaisance, de douceur, de générosité, de collaboration, de synergie. Il donne envie qu’on aille avec lui. En se sentant pacifié, il donne envie d’être pacifiant à notre tour ».

J’ai la conviction que cette vie intérieure peut se nourrir de multiples façons. Bien sûr, je recommande de porter régulièrement des moments de gratitude (6). Toutes les personnes qui pratiquent régulièrement des moments de gratitude sentent une énergie, une vitalité, une joie d’être au monde ». Cela ne vient pas nécessairement immédiatement, mais cela « ne manque pas de venir si on jardine cette vie intérieure avec suffisamment de bienveillance et d’attention ».

Dans ce travail, je propose également un exercice, c’est de se poser cette simple petite question que l’on pose autour de soi une dizaine de fois par jour : Comment cela va ? Comment te sens-tu ? Se poser à soi cette question : Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? Qu’est-ce qui est heureux dans ton cœur ? Célébrer ce qui va bien.  Commencer par ce qui va bien. Il y a des chose qui vont bien même si nos vies sont tragiques ».  Repérons ce qui correspond à nos aspirations profondes et qui nous procurent du contentement. Quand ces aspirations sont nourries en moi, je vais bien. « Je tend donc vers cela. Si ce qui me correspond, c’est « le partage, l’écoute et la sincérité », je vais chercher à créer ces conditions. « Ainsi nous apprenons à nous centrer. Il y a les choses joyeuses qui vont bien dans mon cœur. Je les honore, les célèbre et j’oriente ma vie dans ce sens. Et puis il y a les choses moins joyeuses, plus difficiles, plus éprouvantes. Je les accueille, je les écoute et j’essaie de les comprendre. Petit à petit, j’oriente ma vie pour ne plus retomber dans les circonstances dont je sais par expérience qu’elles ne m’apportent pas de bien-être. Et ainsi, je récupère les manettes de mon existence.

Qu’est ce qui arrive à la plupart de nos contemporains ? Ils n’ont pas les manettes pour orienter leur vie. Or ce n’est pas compliqué. Cela demande juste un peu de jardinage intérieur ».

 

 

Ce message est porteur car il se développe à partir d’une expérience et il s’exprime sur un ton qui suscite la sympathie. Il aide à mieux interpréter nos situations de vie et à y faire face. Il nous encourage. Un changement est possible. Oui, nous pouvons !

Bien sûr, dans ce court message, Thomas d’Ansembourg n’a pas le temps d’aborder des situations critiques ou d’entrer dans une réflexion approfondie sur la manière dont nous percevons le sens profond de nos existences, lequel a tant d’importance dans la dynamique de notre vie.

Il s’exprime cependant sur le rapport entre psychologie et spiritualité.

« Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante. Si nous prenons un temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ».

Cette conscience d’une relation, d’une appartenance à plus grand que soi, nous paraît essentielle. Et il en est de même du fil conducteur que nous pouvons suivre dans le monde. Sommes-nous inspirés par la sympathie et l’amour ? A certains moments et dans certaines conditions, certains milieux religieux ont pu être pollués par des représentations négatives. Mais aujourd’hui ce n’est pas le courant principal. Thomas d’Ansembourg évoque les bienfaits de la gratitude. A ce sujet, un remarquable article est paru dans Wikipedia. Free encyclopedia (anglophone) (6). « L’étude systématique de la gratitude à l’intérieur de la psychologie a commencé seulement autour des années 2000, peut-être parce ce que la psychologie traditionnellement se focalisait sur les situations de détresses… ». Des études récentes suggèrent que les gens reconnaissants sont aussi plus altruistes et vivent dans un état de bien être subjectif plus élevé.  Cependant cet article met également l’accent sur la manière dont la gratitude et la reconnaissance sont au cœur des pratiques de vie chrétiennes et juives. « Dans le judaïsme, la gratitude est une part essentielle de l’acte d’adoration et de la vie du croyant. De même l’expression de la gratitude modèle et donne sa forme à la pratique de vie chrétienne ». Ainsi, sur des registres différents, l’expression de la gratitude est bien une démarche fondamentale. Elle éclaire la relation positive et débouche sur une harmonie.

Dans la gratitude comme dans la démarche de prendre soin de nous-même, il y a un mouvement commun qui est la bienveillance. Dans son livre : « Oser la bienveillance », Lytta Basset a mis en valeur cette dimension essentielle de notre existence : « Bienveillance humaine, bienveillance divine » (7).

Cette vidéo de Thomas d’Ansembourg nous invite à fréquenter ses autres enseignements et notamment les deux autres vidéos rapportées sur ce blog (3). Dans ce monde où nous pouvons être tenté par le pessimisme, l’agressivité ou le repli, cette vidéo contribue à la campagne du mouvement Colibris : « Faisons notre part ! Soyons le changement ! Engageons-nous dans une (r)évolution intérieure ». Thomas d’Ansembourg nous apporte un message tonique. Oui, cette évolution positive est possible. Il y a de l’espoir !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            « Une (r)évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure

Sur ce blog, un regard sur le mouvement Colibris : « une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » : https://vivreetesperer.com/?p=1780

(2)            « Entretiens : ma ®évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure/entretiens-ma-revolution-interieure

(3)            « Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : https://vivreetesperer.com/?p=1791 « Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » : https://vivreetesperer.com/?p=1371

(4)            « Thomas d’Ansembourg : ma (r)évolution intérieure » : vidéo You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=gWLoMcVoHaU

(5)            Dans son livre : « la guérison du monde», Frédéric Lenoir met en évidence le développement d’un courant spirituel qui allie intériorité et engagement collectif. Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Gratitude. From Wikipedia. The free encyclopedia » : https://en.wikipedia.org/wiki/Gratitude Sur ce blog, « Avaaz : Transformation sociale et transformation personnelle vont de pair » : des moments de gratitude sont envisagés dans ce processus : https://vivreetesperer.com/?p=2034

(7)            Sur ce blog : Lytta Basset. « Oser la bienveillance ». « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Vois la beauté en moi ! Un appel à entendre

Marshall Rosenberg

Marshall Rosenberg et la communication non violente

 

Une nouvelle approche de la relation se développe et se répand aujourd’hui dans un mouvement intitulé : Communication non violente (CNV). Cette approche est apparue aux Etats-Unis à partir des années 1960 sous l’impulsion de Marshall Rosenberg . Marshall Rosenberg a grandi dans une famille juive très unie en contraste avec le climat de violence raciste qui sévissait à l’époque et dont il a beaucoup souffert. Dans son parcours d’étude et de recherche en psychologie, il trouve inspiration chez Carl Rogers, un psychologue américain innovant qui met l’accent sur une approche centrée sur la personne. Dans sa découverte de la non violence, il s’inspire de l’exemple de Gandhi. Aujourd’hui, en France, la communication non violente commence à pénétrer dans de nombreux secteurs d’activité où la relation a un rôle majeur. La pensée de Marshall Rosenberg est relayée par des personnalités comme Thomas d’Ansembourg (1), bien apprécié sur ce blog. De nombreux témoignages apparaissent sur le Web. L’approche de Marshall Rosenberg est accessible à travers de livres et de nombreuses vidéos auxquelles on se reportera (2). Marshall Rosenberg veut promouvoir une relation fondée sur un « don naturel », la capacité de donner et de recevoir dans une joie désintéressée . Cependant,  cette aptitude positive est aujourd’hui contrecarrée par une culture qui traduit une vision pessimiste de l’homme entrainant une pratique en terme de punition et de récompense, et qui se manifeste dans la volonté d’avoir raison. Communiquer avec l’autre, c’est savoir reconnaître dans ses réactions, les besoins et les sentiments qui en sont les ressorts. La communication pourra alors s’établir en profondeur sur ce registre. On cherche également à observer les comportements plutôt que de formuler des impressions subjectives sur leurs auteurs. Bref, il y a là un savoir-être et un savoir-faire qui se révèlent très efficaces pour dépasser et dénouer les conflits aux différents niveaux où ils peuvent advenir, y compris dans des situations sociales et politiques dangereuses. La communication non violente apparaît ainsi comme une sagesse en action.

 

Vois la beauté en moi : « See me beautiful »

La vidéo de Marshall Rosenberg, que nous présentons ici, témoigne de la dimension humaine de cette approche d’une façon émouvante. En effet, Marshall commence son propos par un chant qu’il émet et accompagne sur sa guitare (3). Ce chant exprime une aspiration humaine à une pleine reconnaissance alors que celle-ci est en réalité bien souvent refoulée :

« Vois la beauté en moi

Cherche le meilleur en moi

C’est ce que je suis vraiment

C’est tout ce que je veux être

Peut-être que cela prendra du temps

Peut-être que cela sera difficile à trouver

Vois la beauté en moi

Est-ce que tu peux saisir l’occasion

Est-ce que tu peux trouver une manière

De me voir briller avec toutes les choses que je fais

Vois la beauté en moi »

 

Dans cette vidéo, Marshall Rosenberg donne ensuite quelques exemples  qui permettent de comprendre la mise en œuvre de la communication non violente. Ainsi, nous raconte-t-il une rencontre mouvementée dans un camp de réfugiés au Moyen-Orient.

« Lorsque mon interprète m’a présenté, il a mentionné que j’avais la nationalité américaine. Alors, un des participants a bondi et il a crié : « assassin ». Ce que j’ai entendu lorsqu’il s’est exprimé, c’est « Vois la beauté en moi ». Pour faire cela, on voit la vérité. Cette personne se sent comment ? Quel est le besoin chez lui qui a engendré ce sentiment ? Ainsi, lorsqu’il a crié : « assassin », j’ai dit : « Monsieur, est ce que vous êtes furieux parce que mon gouvernement n’a pas répondu à votre besoin de soutien ? Il a été un peu surpris par cette réponse. Il n’avait pas l’habitude que quelqu’un cherche à savoir son besoin lorsqu’il essaye de communiquer. « Oui, tu as fichtrement raison. On n’a pas de maison. On n’a pas d’argent. Pourquoi est-ce que vous envoyez vos armes ? » Alors, je suis resté en lien avec ses besoins. « Si je comprend bien, c’est difficile pour vous lorsque vos besoins ne sont pas satisfaits, de voir arriver des armes ». Tant que je reste en lien avec ce qui est vivant dans cette personne, je n’entend aucune critique, je n’entend aucun reproche. Je vois la personne qui chante : « Vois la beauté en moi ». Et quand la personne s’aperçoit de mon regard quand je chante cette chanson, la personne sent que ce qui est vivant en elle m’importe. Et quand les gens ont confiance que ce qui est vivant en eux nous importe, nous sommes bien sur le chemin pour résoudre les besoins de tout le monde. Alors cela, c’est l’autre moitié de la communication non violente. On a la possibilité d’utiliser la communication non violente sans devoir tenir compte de la façon dont l’autre personne s’exprime, parce que nous avons ces oreilles là. Nous nous mettons en lien avec les sentiments et les besoins de l’autre quelque soit sa façon de communiquer ».

Et voici un exemple familier. Lorsque nous demandons à nos enfants de fermer la télé, nous recevons parfois une réponse violente : « Non ». On n’entend pas « non ». Nous entendons : « Vois la beauté en moi » ». Nous entendons ce que la personne sent et ce qui l’habite. Cela ne veut pas dire que nous renoncions à nos besoins. Mais cela montre à l’autre personne que ses besoins sont importants pour nous, que ses besoins sont sur un pied d’égalité avec les nôtres. Et  quand les gens ont confiance, on est sur le chemin de l’apprentissage réciproque ».

 

Dépasser les obstacles

 

« Vois la beauté qui est en moi »… C’est affirmer, c’est reconnaitre que, quelque soit le marasme dans lequel il est embourbé, il y a , en tout homme, un potentiel de vie. c’est reconnaître le positif pour lui permettre de se développer. Cela ne va pas de soi. Ce chant est un appel qui trace un chemin, qui autorise les humains en déshérence à être reconnu dans leur potentiel, à exprimer leur dignité intrinsèque. Et ne sommes pas nous-même interpellés ? N’y a-t-il pas parfois en nous un déni de nous-même ? N’y a-t-il pas dans  notre culture des éléments qui peuvent s’opposer à l’expression d’une pleine appréciation de notre être comme si il y avait une inconvenance ?

Un souvenir remonte à notre mémoire. Dans un colloque qui a eu lieu aux Etats-Unis sur la réception de la  théologie de l’espérance de Jürgen Moltmann, son épouse, Elisabeth  Moltmann-Wendel, une pionnière de la théologie féministe était intervenue pour exprimer le malaise de beaucoup de femmes chrétiennes de l’époque face à un état d’esprit répressif (4). Et, pour exprimer la valeur de la femme,  elle avait conclu sa prise de parole par une affirmation percutante : « I am good. I am full. I am beautiful ».  « Je suis bonne. Je vis pleinement. Je suis belle ».  Elle rapporte ses sources : la plénitude mise en valeur par la théologie féministe et le théologie afro-américaine : « Black is beautiful ».  Aujourd’hui, notre contexte de vie est différent, mais sommes-nous tous à l’aise avec une affirmation personnelle dans les termes de Marshall Rosenberg et d’Elisabeth Wendell Moltmann ?

Dans une de ses interventions (5), Thomas d’Ansembourg, sur un registre un peu différent, nous rapporte combien il a ressenti dans sa culture environnante, catholique traditionnelle, une méfiance vis à vis de la recherche et de l’expression du bonheur.  Il y a effectivement un héritage culturel à dépasser.

 

Marshall Rosenberg nous montre combien une image négative de l’humain a régné pendant des siècles et comment elle a engendré le malheur  « Lorsqu’on pense que, par nature, l’être humain est malfaisant, quel est le processus correctif : la pénitence. Il faut que les gens se détestent eux-mêmes ». Et, aujourd’hui encore , plutôt que de rester dans une attitude de partage, on entre dans une pratique de confrontation : « qui a raison ? », et, en conséquence, un engrenage de punitions et de récompenses ».

 

Dans ces oppositions à la non violence, il y a donc un héritage culturel à dépasser, et cet héritage renvoie à une culture religieuses fondée sur une théologie du péché originel. Dans son livre : « Oser la bienveillance »  (6),  Lytta Basset nous apporte un  utile éclairage. « Nos contemporains ont un besoin  brulant d’être valorisés pour qui ils sont. Mais si la voix qu’ils entendent n’est pas celle d’un Dieu inconditionnellement bienveillant, faut-il s’en étonner ? J’ai cherché du côté de ce qui, trop longtemps, a parasité la ligne. Je veux parler de ce dogme du péché originel qui, adopté au Vè siècle sous l’influence de saint Augustin, a « plombé » l’Occident de manière ininterrompue jusqu’au XXè siècle, avec sa vision catastrophique de la nature humaine » (p 11). Lytta Basset nous montre également en quoi une doctrine aussi « toxique » est contraire à l’enseignement et à la vie de Jésus, et à la théologie chrétienne des premiers siècles, relayés sur ce point par l’Orthodoxie et  reformulés aujourd’hui par des théologiens contemporains (7). Notons par ailleurs que cette représentation pessimiste de l’homme se trouve également aujourd’hui chez certains psychanalystes athées comme Freud (8). Et, comme l’observe Lytta Basset : « Comment peut-on accompagner quelqu’un sur son chemin de guérison, de pacification, de libération lorsqu’on a une vision négative de l’être humain ? ».  La bienveillance, telle que la décrit Lytta Basset, notamment dans l’exemple de la relation entre Jésus et Zachée, est un processus libérateur.

« Vois la beauté en moi ». Lytta Basset nous paraît rejoindre Marshall Rosenberg : « En toute lucidité, on peut opter pour la bienveillance : se focaliser sur l’être de la personne, ce qu’elle est essentiellement et éternellement quoiqu’elle fasse : une créature bénie « capable de Dieu ». A cette profondeur, on n’est jamais déçu ni trompé…. On ne dira jamais assez  combien le simple geste bienveillant que nous posons, la moindre parole, peut nous remettre instantanément dans le courant puissant de la bienveillance. C’est à notre portée parce que c’est de l’ordre du respect : je salue en toi, malgré tout, un être humain semblable à moi. Puisque tu es en vie, je prend le risque de faire confiance à ton potentiel, que je ne prétend pas connaître » (p 23). Oui, le chant de Marshall Rosenberg ouvre le chemin de la confiance. « Quand la personne s’aperçoit de mon regard quand je chante cette chanson, la personne sait que ce qui est vivant en elle m’importe. Et quand les gens ont confiance que ce qui est vivant en eux nous importe, nous sommes bien sur le chemin pour résoudre les besoins de tout le monde ».

 

J H

 

(1)            Site de Thomas d’Ansembourg : http://www.thomasdansembourg.com   Sur ce blog, plusieurs articles autour d’interviews ou de conférences de Thomas d’Ansembourg, et notamment, présentation de son dernier livre : « la paix, ça s’apprend » : https://vivreetesperer.com/?p=2596

(2)            On  trouvera un enseignement de base dans trois vidéos sous titrées en français : https://www.youtube.com/watch?v=f99Xvp3yFPg

(3)            Le chant de Marshall Rosenberg : « See me beautiful » : https://www.youtube.com/watch?v=XJJ6PQhX8og

(4)            Intervention d’Elisabeth Moltmann-Wendel dans le colloque sur la réception de la rhéologie de l’espérance. Sur ce blog : « Quelle vision de Dieu, de l’humanité et du monde en phase avec les aspirations et les questionnements de notre époque » : https://vivreetesperer.com/?p=2674

(5)            Thomas d’Ansembourg. Comprendre l’humain dedans pour comprendre l’humain devant : https://www.youtube.com/watch?v=7THnCPe7qUo

(6)            Lytta Basset. Oser la bienveillance. Albin Michel, 2017. Mise en perspective sur ce blog : « Bienveillance divine. Bienveillance humaine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(7)             On suivra sur ce point l’œuvre de théologiens très présents sur ce blog : Jürgen Moltmann et Richard Rohr. C’est une théologie qui met en évidence la communion divine en un Dieu Trinitaire, une communion à l’œuvre pour inspirer notre humanité. Voir la vie et l’oeuvre de Jürgen Moltmann : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/  « The divine dance » par Richard Rohr : https://vivreetesperer.com/?p=2758

(8)            Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie », Jérémie Rifkin, traite entre autres, de la sombre vision de l’humanité soutenue par Freud et de ses conséquences : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

 

 

 

 

Pour un processus de dialogue en collectivité : un chemin vers l’intelligence collective

 

Témoignage de Pascale Ribon, ingénieur

 

Nous savons, par expérience, combien il y a souvent des blocages dans la communication au sein des collectivités. Des oppositions tranchées s’installent et le dialogue social ne parvient pas à s’établir. Cette situation empêche la résolution des problèmes et l’élaboration de réponses constructives. Mais on peut observer aussi des dynamiques positives. Ingénieur, dirigeante de services publics au fil de son parcours, Pascale Ribon nous fait part de son expérience dans un entretien Ted X Saclay (1) : « Si gentillesse et bienveillance rimaient avec performance collective ». Pascale nous parle de son expérience avec beaucoup de simplicité et d’authenticité. On perçoit les fruits d’une attitude qui engendre le dialogue à travers le respect, l’attention et l’écoute. Ce dialogue débouche sur la mise en route d’une intelligence collective. Pascale Ribon nous décrit ce processus à partir de trois étapes de sa vie professionnelle.

 

 

L’approche innovante d’une jeune ingénieur

C’est tout d’abord la première fonction dans laquelle elle est entrée au sortir de ses études.

« J’étais jeune ingénieur. C’était mon premier poste. J’étais responsable d’un bureau d’étude d’ingénierie dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des rivières. A l’époque, la norme, c’était de canaliser les rivières, donc, c’était un peu une catastrophe en terme d’écosystème ». Pascale va essayer de faire évoluer les représentations pour qu’on utilise des méthodes plus naturelles.

Et justement, on lui confie un projet qui concerne un effondrement des berges de la Seine. Elle raconte la confrontation qui s’est opérée. « Je devais présenter des préconisations techniques. Il n’y avait que des messieurs d’un certain âge en face de moi. J’étais la seule femme. J’ai présenté un projet 100% naturel avec des plantes. Il y a eu un grand blanc, et à la fin de ma présentation, je me suis fait renvoyer dans mes buts comme si j’étais totalement incompétente. Et j’ai bien compris à leur regard qu’ils se disaient. Comment a-t-on pu recruter à ce poste une jeune femme comme ça ? Ces histoires de petits poissons, de plantes, c’est bien une histoire de femme. Ce n’est pas une histoire d’ingénieur. J’ai bien compris ce jour là que je n’avais pas réussi à convaincre ».

Cependant Pascale va surmonter cette humiliation. Elle va persévérer et, peu à peu, les mentalités vont changer. « Je suis retourné un certain nombre de fois en gardant le sourire. Et puis surtout, on a travaillé ensemble avec des collègues. On a créé un réseau pilote. On a mobilisé les expériences étrangères et finalement, on a réussi à convaincre et à changer la norme en assez peu de temps ».

C’est par le dialogue qu’on parvient à faire évoluer les représentations et les comportements. En voici un exemple encourageant.

 

Dépasser un conflit social dans une Direction de l’équipement

Pascale Ribon a poursuivi son parcours professionnel. La voilà maintenant responsable d’un service public important : une Direction départementale de l’équipement : mille agents répartis dans une dizaine de sites.

Or voici qu’une décision de l’Etat vient remettre en cause le fonctionnement de celle-ci et donc les habitudes des employés. On imagine l’émotion suscitée par ce bouleversement. « L’Etat avait décidé de transférer une partie des missions aux conseils généraux et de réorganiser le reste. C’était la décentralisation. Bien sûr, les personnels ne perdaient pas leur travail, mais ils étaient remis en question d’une façon assez profonde. Certains allaient changer de statut. Ils allaient devoir changer d’employeur, changer de métier ».

Comme directrice, Pascale est directement confrontée à l’agitation suscitée par la crainte des employés. « Ce jour-là, les syndicats avaient organisé une manifestation pour exprimer leur opposition. Vous arrivez le matin. Vous êtes le directeur. Vous savez qu’une centaine de personnes vous attendent sur le parking, avec un mégaphone, avec beaucoup d’agressivité pour vous montrer qu’ils sont totalement contre la réforme que vous allez mettre en œuvre. Vous avez le choix. Vous pouvez aller vous garer discrètement dans une rue adjacente, monter directement dans votre bureau, dire à votre directeur des relations humaines qu’il s’en occupe parce que le dialogue social, c’est son boulot ! Et puis, vous avez des choses importantes à faire. Il y a surement une réunion qui va démarrer…

Mais vous pouvez aussi faire le choix d’aller discuter. Et ce matin là, c’est le choix que j’ai fait, même si c’était difficile. La barrière s’est ouverte. Je suis entrée sur le parking. Je me suis avancé vers les leaders du mouvement. Je les connaissais. J’avais l’habitude de travailler avec eux. Mais là, face à leur colère, ce n’était pas pareil. C’était difficile. Je voulais leur dire que les décisions qu’on allait prendre tiendraient compte de leurs contraintes. Je voulais leur dire que j’avais besoin qu’ils participent à les construire. Et surtout, je voulais qu’ils sentent que, pour moi, ils n’étaient pas des chiffres ou un tableau de bord, mais des personnes comme moi, avec leurs émotions, leurs contraintes personnelles, leur conscience professionnelle. Et donc, malgré ma peur, malgré leur agressivité, on a discuté, on a tissé doucement les fils de la confiance et puis on a arrêté la manifestation. Et on s’est mis au travail. On a travaillé pendant deux ans. Et finalement on a déployé la décentralisation au mieux des intérêts de chacun… »

Ainsi, comme l’exprime ce témoignage de Pascale, nous ne sommes pas soumis à une fatalité selon laquelle nous sommes impuissants face à des engrenages collectifs. Une conviction personnelle, portant une volonté de dialogue, peut entrainer un changement dans le déroulement des évènements et dans la vie des personnes concernées.

 

Introduire un esprit collaboratif dans une école d’ingénieurs

Pascale nous raconte une troisième expérience professionnelle. Parce qu’elle avait envie de contribuer à une évolution des mentalités vers plus d’esprit de dialogue et de confiance mutuelle, Pascale Ribon est devenue directrice d’une école d’ingénieurs : l’ESTACA (2).

« J’ai fait le pari que l’école, pour les étudiants, pouvait être la première entreprise à laquelle ils coopèrent, et que, dans cette entreprise là, on allait leur faire pratiquer concrètement l’intelligence collective de manière à ce que, par la suite, ils puissent essaimer et qu’ils puissent apporter cette manière de travailler dans les différentes entreprises où ils agiront plus tard.

C’est pour cela que les nouveaux locaux qu’on a inauguré l’année dernière à l’ESTACA étaient les plus ouverts et les plus décloisonnés possible pour que, finalement, les étudiants, les enseignants, les chercheurs, les personnels administratifs, les partenaires aient le plus possible l’occasion de se croiser, de se parler, de se connaître, et donc de coopérer, de faire des choses ensemble. C’est aussi pourquoi, lorsqu’on a travaillé sur le campus numérique, on a décidé que les étudiants aussi pourraient produire des contenus pédagogiques pour qu’ils apprennent à se soutenir et à s’entraider les uns les autres au delà de leurs cercles d’amis. C’est pour cela aussi que, sur plusieurs années, on a fait évoluer le système de distribution des moyens qui étaient attribués aux projets associatifs, aux projets des étudiants, en passant d’un système où c’était l’administration qui distribuait les moyens à un système où ce sont les étudiants qui font les choix. Il a fallu déconstruire un certain nombre de représentations, de comportements, en particulier ceux qui étaient liés à la peur de l’arbitraire, à la peur du copinage en lien avec le pouvoir, et puis en construire d’autres plus propices à la confiance ». Comme l’exprime ici Pascale, c’est bien nos représentations qui sont en question et que nous sommes appelés à changer. A cet égard, l’éducation, la formation sont des espaces stratégiques.

 

Le choix d’agir et d’influer sur les situations

Cependant, on en a bien conscience en écoutant Pascale, ce changement est guidé par une vision du monde, une vision de l’humain qui s’articule avec des valeurs comme la confiance et la bienveillance. Pascale Ribon s’exprime à ce sujet à partir de son expérience.

« A partir de ces trois expériences de ma vie professionnelle, je veux démonter un discours qu’on entend de plus en plus, et qui, pour ma part, m’insupporte. On change de plus en plus vite. Et, dans ce monde qui change de plus en plus vite, les entreprises seraient devenues des lieux de souffrance à cause des changements sur lesquels nous n’aurions aucune prise. Les responsables seraient ailleurs : la finance, la politique, la mondialisation, enfin à chacun son bouc émissaire. Et nous attendons un homme providentiel pour nous sauver. C’est l’époque. Finalement, la seule solution, la seule alternative à la dépression, à la démobilisation, ce serait la résistance, ce serait la révolte. Croire qu’on peut dire : « stop ».

Mais depuis le début de ma carrière, je travaille dans des organisations en changement. Comme vous, je pense. Et, depuis une vingtaine d’années, j’ai dirigé des organisations de taille variable, publiques, privées, de 100 à presque 1000 personnes, qui, toutes, étaient confrontées à des évolutions très importantes. Ce qui m’a guidé dans ces évolutions, dans ces fonctions, c’est la conscience que les entreprises, ce sont d’abord des gens, ce sont des communautés d’individus comme vous, comme moi. Et finalement, ce ne sont pas des décideurs lointains qui font notre quotidien professionnel, mais bien des gens que nous côtoyons directement, par leur comportement et par la qualité de leurs interactions les uns aux autres ». Et donc, ce qui se passe, dépend de nous pour une bonne part. « Chacun choisit chaque jour, soit de poursuivre son projet personnel en compétition avec les autres, voire en considérant que ce sont des obstacles à sa propre réussite, à son propre épanouissement personnel, ou, au contraire, de poursuivre un projet plus collectif, de construire ce que j’appelle un écosystème de développement, d’apprentissage dans lequel chacun va trouver grosso modo sa place, et au fur et à mesure poser les problèmes qui le concernent, y apporter des solutions les plus adaptées possible, construire finalement un environnement plus conforme à nos souhaits ».

En vous racontant l’histoire de la direction départementale de l’équipement de l’Eure et Loir, je voulais vous faire partager que, même dans des environnements très contraints, des environnements conflictuels, là où on pourrait penser qu’on n’a pas d’autres solutions que de s’effacer derrière des règles, des procédures, des décisions prises par d’autres, quand on pense qu’on n’a pas de marges de manœuvre, on garde toujours le choix. C’est cette liberté que nous avons prise ce jour là, les syndicats et moi-même. Nous avons pris le risque d’assumer nos marges de manœuvre. Nous avons pris le risque de la responsabilité, du dialogue, puis de la coopération, et donc, on a réussi à construire une forme d’intelligence collective et c’est grâce à cette intelligence collective que nous avons trouvé des solutions à un problème que nous n’étions pas prêts à résoudre ni les uns, ni les autres ».

 

Bienveillance et engagement personnel

Mais quels sont les ingrédients pour construire cette intelligence collective ? (3) A quelles qualités ce processus fait-il appel ? Qu’est ce qui nous est demandé ?

Pascale Ribon distingue deux ingrédients fondamentaux pour avancer dans ce sens.

« Le premier type d’ingrédient, c’est la bienveillance, l’empathie, je dirais même la gentillesse. Quand on parle de gentillesse, on entend : « On n’est pas chez les bisounours ! ». Mais je dis : Pourquoi pas ? Et ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont les résultats d’une recherche commandée par Google. 200 équipes ont été auditées. Ils cherchaient à savoir qu’est ce qui suscitait la plus grande performance de certaines équipes. Ils ont testé beaucoup de critères. Et le critère principal auquel ils sont arrivés, c’est le niveau de gentillesse entre les membres (4). Et finalement, c’est assez instructif. Quand on a confiance les uns dans les autres, quand on sait qu’on peut compter sur les gens autour de soi, on prend des risques, on est innovant, on est créatif, on avance.

Pour construire cette intelligence collective, il y a un deuxième ingrédient. C’est l’engagement individuel. Ici. On peut évoquer la légende du colibri raconté par Pierre Rahbi (5). Cette légende dit qu’un jour, dans la foret, il y a eu un immense incendie. Et alors, l’ensemble des animaux assistait impuissant au désastre. Ils étaient atterrés, terrifiés. Il y a juste un petit colibris qui s’agite, qui prend de l’eau avec son bec, puis va jeter quelques gouttes d’eau dans le feu, et puis qui recommence. Cela agace le tatoo. « Mais arrête colibri ! Tu ne vas pas éteindre le feu ! ». Le colibri s’arrête, regarde le tatoo et lui dit : « Je sais. Je ne suis pas fou, mais je fais ma part ».

 

Le choix de la confiance

Lorsque Pascale, jeune ingénieur, commence à travailler dans un milieu insensible à la conscience écologique, elle a néanmoins persévéré et, petit à petit, elle a réussi à susciter une transformation des normes. Petit à petit, c’est un peu comme le goutte à goutte du colibri. Aussi peut-elle nous encourager.

« Vous aussi, je suis sur qu’il y a un incendie qui vous préoccupe. Il y a des choses que vous avez envie de voir changer. Mettez-vous en mouvement. Proposez des solutions. En plus, le temps joue pour vous. Des études disent que d’ici à cinq ans, 50% des métiers qui recruteront n’existent pas encore. Cela veut dire que les marges de manœuvre sont énormes. Et puis n’ayez pas peur de l’échec. On ne réussit jamais du premier coup. Il faut revenir, revenir. Les enfants tombent beaucoup avant de savoir marcher.

Ce qui est difficile en France dans cette dynamique là, c’est qu’on est nourri à la défiance. A la lecture des enquêtes internationales, on constate que la France est toujours en queue de peloton sur le thème de la confiance (6). Moins d’un français sur quatre considère qu’on peut globalement faire confiance aux autres. C’est presque 40% dans la moyenne des pays de l’OCDE. Et je ne vous parle pas des pays de l’Europe du nord où le pourcentage s’élève à 50%, 60%/. Les élèves, nos enfants, sont élevés dans un climat de défiance. Cela veut dire qu’on les « plombe » dans un monde où le niveau d’incertitude, de complexité va nécessiter de la coopération pour agir, donc de la confiance ».

 

Avec Pascale Ribon, nous voici au cœur des problèmes de notre époque. Dans une société en changement rapide (7), comment faire face aux transformations auxquelles nous sommes confrontés ? Cette question peut être éludée en regardant vers le passé, en refusant d’entrer dans la nouveauté ou en développant une agressivité qui se fixe sur des boucs émissaires. Pascale nous montre qu’il y a un autre chemin, que les problèmes peuvent être affrontés et résolus, que « oui, c’est possible ». Mais il y a une condition. C’est entrer en relation, dialoguer, faire confiance. Ce qui se passe, dépend de nous pour une bonne part. Elle nous appelle à « construire des écosystèmes de développement, d’apprentissage où chacun va pouvoir trouver sa place, et, au fur et à mesure, poser les problèmes qui le concernent, y apporter des solutions les plus adaptées possibles ». C’est le chemin d’une intelligence collective où nous allons pouvoir résoudre des questions jugées jusque là inaccessibles. Ce processus requiert de la confiance. En nous, cette confiance dépend de notre vision du monde, de notre vision de l’humain et donc d’une dimension spirituelle. Si elle se heurte à un climat opposé, elle peut néanmoins se répandre et engendrer une dynamique. Le témoignage de Pascale Ribon nous encourage et nous permet d’envisager les enjeux.

 

J H

 

(1)            « Et si gentillesse et bienveillance rimaient avec performance collective » (Pascale Ribon) (Ted X Saclay) mis en ligne avec le 23 janvier 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=6fmWo-znXVM

(2)            ESTACA : Ecole d’ingénieurs : Aéronautique, auto, spatial ferroviaire : http://www.estaca.fr

(3)            L’intelligence collective passe par un dialogue qui permet de développer des représentations plus adaptées : « Pour une intelligence collective » : https://vivreetesperer.com/?p=763

(4)            Diverses recherches montrent une influence positive de la bienveillance et de la gentillesse sur l’efficacité du travail » :    « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318

(5)            La légende des colibris racontée par Pierre Rahbi inspire le Mouvement Colibris : https://www.colibris-lemouvement.org/mouvement/nos-valeurs

(6)            « Promouvoir la confiance dans une société de défiance ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(7)            « Un monde en changement accéléré. La réalité et les enjeux selon Thomas Friedman » : https://vivreetesperer.com/?p=2560

« Pourquoi et comment innover face au changement accéléré du monde ? » : https://vivreetesperer.com/?p=2624

 

Voir aussi

 

« La paix, ça s’apprend ! » : https://vivreetesperer.com/?p=2596

« Comment la bienveillance peut transformer nos relations ? » : https://vivreetesperer.com/?p=2400

« Thomas d’Ansembourg. Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Appel à la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086

« Un environnement pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2041

« Susciter un climat de convivialité et de partage » : https://vivreetesperer.com/?p=1542

Une bonne nouvelle : la paix, ça s’apprend

 9782330063276FS         Nos sociétés sont traversées par des poussées de violence. Il y a là des phénomènes complexes qui peuvent être analysés en termes sociaux, économiques, culturels, politiques, mais également dans une dimension psychosociale, un regard sur les comportements. En dehors même de ces épisodes, dans la vie ordinaire, nous pouvons percevoir et éprouver des manifestations d’agressivité. A une autre échelle, au cours de l’histoire, nous savons combien la guerre a été un fléau dévastateur (1). Ainsi, affirmer la paix aujourd’hui, c’est garder la mémoire du malheur passé pour empêcher son retour, mais c’est aussi effectuer un pas de plus : réduire les sources de violence, pacifier les comportements.

Psychothérapeute, engagé depuis des années dans une campagne pour le développement de la personne, auteur de plusieurs livres, animateur d’un site (2), Thomas d’Ansembourg milite pour répandre des pratiques de paix. Dans cette interview en vidéo à la Radio Télévision Belge Francophone (3), il explique pourquoi il vient d’écrire un nouveau livre en ce sens : « La paix, ça s’apprend. Guérir de la violence et du terrorisme » (4). « Nous avons réagi, David (le co-auteur) et moi à l’attentat du Bataclan, vite relayé par l’attentat de Bruxelles. Nous avons réalisé qu’on ne peut se contenter de mesures de sécurité (renforcement de frontières et traitement de symptômes). Il nous est apparu que le terrorisme est un épiphénomène d’un malaise extrêmement profond de la société et qu’il était intéressant de voir ce qui génère un tel malaise. Dans nos pratiques, lui comme historien et moi comme accompagnant de personnes, nous avons réalisé que la paix, c’est une discipline. Cela ne tombe pas du ciel. C’est une rigueur, c’est un exercice. Cela demande un engagement, de la détermination et du temps, et, petit à petit, on atteint des états de paix qui deviennent de plus en plus contagieux. Et cela devrait s’apprendre, depuis la maternelle, dans toutes les écoles. Tel est le propos de ce livre. C’est de faire savoir. Mettons en place des processus pour pouvoir éduquer des populations à se pacifier ».

 

 

Pour une pacification intérieure 

« Depuis près de vingt-cinq ans que j’accompagne des personnes dans la quête de sens et la pacification intérieure, j’ai acquis cette confiance que la violence n’est pas l’expression de notre nature. C’est parce que notre nature est violentée que nous pouvons être violents. Quand mon espace n’est pas respecté, je puis être agressif. Quand mon besoin d’être compris et écouté, n’est pas nourri et respecté, je puis être agressif. Et il en va de même lorsque des besoins importants ne sont pas respectés. D’où l’importance d’apprendre à respecter notre nature et donc de la connaître ». Ainsi « apprendre la connaissance de soi dès l’école maternelle nous paraît absolument essentiel aujourd’hui. Jusqu’ici, cela me semblait un enjeu de santé publique, mais aujourd’hui cela me paraît aussi un enjeu de sécurité publique. Tout citoyen qui va à l’école a besoin d’apprendre qui il est, qu’est-ce qui le met en joie… mais aussi qu’est-ce qui le chagrine, qu’est-ce qui le met en colère. Il est bon de comprendre ce qui vous met en rage avant de faire exploser sa rage à la tête des autres. On a largement dépassé la notion de développement personnel. Il y a là un enjeu de santé publique. La plupart de nos gouvernants ne savent pas tout cela, ne connaissent même pas les outils correspondants et la plupart des médias dédaignent cette approche en la considérant comme du « bisounours » alors que ces outils sont des clés pour le vivre ensemble ».

 

Des outils pour le vivre ensemble

La paix peut s’apprendre à travers des outils. Thomas d’Ansembourg n’a pas souhaité réaliser un inventaire de tous les outils. Dans ce livre, il nous en présente trois qui sont particulièrement efficaces.

« La Pleine conscience » est une approche de méditation qui se dégage des rituels religieux traditionnels et qui peut être vécue d’une façon laïque et d’une manière spirituelle si on le souhaite. Elle permet de trouver un espace de fécondité, de créativité, d’alignement qui est très bénéfique pour le vivre ensemble ».

Thomas d’Ansembourg nous parle également de la communication non violente, une approche « qu’il enseigne depuis des années et qui est proposée dans de nombreux milieux depuis des classes maternelles jusqu’à des prisons en passant par des cockpits d’avion… C’est une approche pratico-pratique pour mieux vivre les relations humaines, dépasser les conflits, les querelles d’égo ».

Il y a une troisième pratique, celle de la bienveillance.

« Il y a plusieurs aspects de la bienveillance : accueillir l’autre tel qu’il est et non tel que je voudrais qu’il soit, être ouvert à son attitude et à sa différence, être disponible à une remise en question par son attitude. Cela demande de l’humilité, peut-être du courage. Et puis, il y a cette attitude positive de prendre soin, bien veiller sur l’autre, l’encourager dans son développement qui n’est pas forcément celui que j’aurais aimé avoir pour lui. Je pense par exemple à notre attitude avec les enfants, ne pas projeter sur eux nos attentes. Cela demande du travail sur soi. Ce n’est pas ingénu. Cela requiert une hygiène de conscience pour remettre en question nos projections, nos attentes, nos préjugés, des idées toutes faites, pour ouvrir notre cœur.

Le monde se transforme à vive allure. « Nous assistons à un métissage incroyable de la planète, de grands exodes en fonction du réchauffement climatique. C’est plus urgent d’apprendre à vivre ensemble, et pour cela, d’avoir des clés de connaissances de soi pour avoir une bonne estime de soi et une capacité d’accueillir la différence, des clés d’ouverture à l’autre et la cohabitation. Cela ne tombe pas du ciel. On voit bien qu’il y a des tentatives de repli et de méfiance. Ce n’est pas comme cela que nous allons grandir ensemble. Nous avons besoin d’approches pour vivre ensemble. On n’en trouve pas encore dans nos pratiques scolaires, ni même dans nos pratiques religieuses. Il y a de belles idées , mais cela appelle une pratique. Comment est-ce qu’on vit quand on est plein de rage et de colère ? On a besoin d’apprendre à vivre la rage et la colère pour la transformer. Grâce à la communication non violente, j’ai appris à faire des colères non violentes, à exprimer ma colère sans agressivité. Ce sont des apprentissages que l’on peut faire ».

 

Promouvoir la paix

Thomas d’Ansembourg porte une dynamique et il l’envisage sur différents registres. Ainsi peut-il souhaiter la création d’un ministère de la paix avec un budget, des formations, de la recherche scientifique en neurosciences, en relations humaines.

Et au plan de la transformation des relations quotidiennes, il a conscience de la puissance des outils existants. « Je sais que ces outils transforment la vie des gens. Je rencontre des personnes dont la vie a pivoté parce qu’ils ont appris à savoir qui ils sont, qu’est ce qui fait sens pour eux… ». Ainsi, « il y a des processus, il y a des clés efficaces. J’aimerais qu’ils soient fournis au grand public. Nous assistons à tellement de détresses dans notre société : solitudes, addictions, divorces douloureux, dépendances… Des outils magnifiques existent. Ne pas les faire connaître est une sorte de non assistance à personne en danger ».

 

Au milieu des drames de l’histoire, l’inspiration de la non violence apparaît comme un fil ténu, mais solide avec des moments de lumière qui sont entrés dans notre mémoire collective depuis les premières communautés chrétiennes jusqu’à  Gandhi et Martin Luther King.

Aujourd’hui, le mouvement pour la paix peut s’appuyer sur de nouvelles méthodes où s’allient une orientation d’esprit et des approches nourries par la psychologie, une conscience renouvelée du corps et les neurosciences. Ainsi, face aux routines traditionnelles, une motivation nouvelle peut apparaître en s’appuyant  sur l’efficacité démultipliée de  nouvelles méthodes. Dans ce livre et dans cette interview, Thomas d’Ansembourg nous apporte une bonne nouvelle : la paix, ça s’apprend ! La paix, c’est possible ! Une voie est ouverte. A nous de nous mobiliser…

 

J H

 

(1)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

(2)            Site de Thomas d’Ansembourg : http://www.thomasdansembourg.com

(3)            « La paix, ça s’apprend ! Il était une foi  01.02.2017 RTBF » https://www.youtube.com/watch?v=hP-_atpsfT0

(4)            David Van Reybroucq. Thomas D’Ansembourg. La paix, ça s’apprend. Guérir de la violence et du terrorisme. Actes sud, 2016

 

Sur ce blog, voir aussi :

Eclairages de Thomas d’Ansembourg :

« Face à la violence, apprendre la paix » : https://vivreetesperer.com/?p=2332

« Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : https://vivreetesperer.com/?p=1791

« Vivant dans un monde vivant » :                 https://vivreetesperer.com/?p=1371

 

La bienveillance selon Lytta Basset

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand (Oser la bienveillance) » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

 

Martin Luther King

« La vision mobilisatrice de Martin Luther King.  « I have a dream »  : https://vivreetesperer.com/?p=1493

 

Incroyable, mais vrai ! Comment « Les Incroyables Comestibles » se sont développés en France

Interview de François Rouillay

En 2008, dans la ville anglaise de Todmorden, des gens ont commencé à planter et à cultiver des fruits et des légumes pour les mettre à la disposition de tous (1). Ce mouvement : « Incredible Edible » prend une grande ampleur et suscite un nouveau genre de vie. En 2011, François Rouillay découvre cette innovation et suscite, dans sa commune, Colroy-la-Roche en Alsace, une démarche analogue, un mouvement du cœur. Des gens se mettent à planter des fruits et légumes pour les partager avec tout le monde. A toute allure, ce mouvement : « les Incroyables Comestibles » se diffuse et se répand dans toute la France.

Au cœur de ce processus, François Rouillay témoigne de cette aventure et de l’esprit dans laquelle elle se développe. « Chacun est appelé à faire sa part ». « Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». C’est un « nouvel art de vivre, de produire et de consommer localement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ». L’expérience de Todmorden est relatée dans un livre récent (2). L’innovation se déploie sur un site internet : « Les Incroyables Comestibles. Bienvenue sur le site de l’abondance partagée » (3). Passer du chacun chez soi, du chacun pour soi, à un mouvement de partage où une créativité collective s’exprime en plantant et en cultivant des fruits et légumes pour les mettre à la disposition de tous, est-ce un rêve généreux, mais irréalisable ? L’expérience prouve que c’est une vision qui se réalise lorsque des gens prennent l’initiative, deviennent acteurs révélant ainsi des aspirations collectives qui se mettent en marche. « C’est un mouvement où des citoyens changent de regard, se prennent en main et se décident à créer ce nouveau monde, ce meilleur et à en faire l’expérience ». Ecoutons, à travers cette vidéo (4), le témoignage concret et émouvant de François Rouillay, cofondateur des « Incroyables comestibles ». Quelques notes extraites de cette interview nous aideront à poursuivre notre réflexion. Incroyable, mais vrai !

 

Comment l’aventure a commencé

 François Rouillay se présente comme « un père de famille » avec une passion particulière pour le jardinage et une autre passion : le partage, les démarches collectives qui rendent possible notre art de vivre sur les territoires, dans les communes, dans les villages, par l’échange, le dialogue, le partage. C’est ici à Colroy-la-Roche que nous avons commencé l’aventure, l’heureuse aventure des « Incroyables comestibles » au mois d’avril 2012… Dans cette maison, les enfants ont construit le premier bac de fruits et légumes à partager, un bac qui se trouve devant la maison. Et ce bac a suscité la création d’un autre bac par un voisin. Et puis un autre voisin a fait la même chose. Et puis le village d’à coté s’est engagé lui aussi… Maintenant on se développe dans toute la France et à l’étranger. Les « Incroyables Comestibles », c’est une démarche des gens, un mouvement du cœur et du partage dans des communes où on va planter des fruits et légumes, les cultiver et les offrir en partage à tout le monde. Et quand on devient collectif, on peut transformer les espaces urbains en jardins d’abondance puisqu’on en plante le plus possible partout.

C’est une démarche qui nous est venue d’Angleterre puisque tout a commencé en 2008 à Tormorden, près de Manchester, dans le nord de l’Angleterre, une petite ville dans une période difficile de désindustrialisation. Au mois de décembre 2011, je faisais de la veille sur la sécurité alimentaire, les populations et j’essayais de trouver des solutions au niveau collectif et j’ai découvert un article anglais sur cette nouvelle méthode. J’ai fait des recherches. Et j’ai découvert qu’on n’en parlait absolument pas dans la presse française. Cela faisait trois ans que cela existait et pas un mot dans la presse française. J’ai été stupéfait de voir qu’une méthode qui fonctionne, qui fonctionne tellement bien que Todmorden s’est développé dans 35 communes en Angleterre avec le soutien du prince Charles et que les gens sont ravis, restait inconnue chez nous. Rien en France. Et donc on s’est réuni en famille avec quelques amis. Et on s’est dit : c’est génial. Il faut le faire. Donc, on s’est lancé dans l’aventure. C’est comme cela qu’on a expérimenté ce mouvement qui est un mouvement collectif, citoyen, un mouvement qui vient des gens. Et on a commencé à le faire devant cette maison. Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans le monde,  on a commencé par nous même.

 

Colroy-la-Roche : les étapes d’un processus

 Le principe pour réaliser cette démarche citoyenne est très simple. On l’a expérimenté à Colroy-la-Roche. Même une seule personne peut démarrer. C’est étonnant ! Parfois, il y a des groupes qui démarrent à 30 ou 40, mais il y a des communes où cela a démarré avec une seule personne.

Quand on a démarré à Colroy la Roche, mon épouse a accepté de lancer l’appel de Colroy. L’étape 1, c’est de se prendre en photo durant la pancarte de la commune. On se prend en photo devant le panneau avec le visuel : Nourriture à partager : Incroyables Comestibles France. Et puis on prend aussi des râteaux, des binettes, des outils de jardinage, des arrosoirs. Et on prend aussi quelques fruits et légumes. Cette étape est très importante parce que c’est le point de départ d’un processus où les citoyens vont changer de regard. Ils vont acter l’intention délibérée d’engager un processus collectif sur le territoire, et cela dans le respect de la loi, dans une démarche de pacification. C’est autorisé à tout le monde de se prendre en photo devant une pancarte. C’est une démarche bienveillante.

On passe ensuite à l’étape 2. On va partager la photo sur les réseaux sociaux, sur un blog, sur un site internet et lancer l’appel aux autres à participer. Donc l’étape 2, c’est de la communication. Aujourd’hui, on la relaie en faisant passer l’information sur le site des « Incroyables Comestibles. France » et à nos amis anglais de Todmorden. Il y a une carte mondiale et, sur cette carte, on place une petite balise de la commune où des citoyens se lancent. On passe du local au global. Les gens se relient entre eux. Si en plus, on associe la presse quotidienne régionale, la radio, les gens autour de vous peuvent découvrir qu’il y a une démarche collégiale et ils proposent de vous rejoindre. C’est ce qui se passe régulièrement.

Ensuite, l’étape 3. Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde. On commence par soi-même. Chacun est invité à faire sa part. On met un bac devant la boite à lettres sur l’espace privé ouvert au public. Certaines personnes n’ont pas d’espace devant. Elles placent une jardinière sur le balcon. Dans un logement collectif, il n’y avait devant que 50 cm de terre avec des buissons. Des mamans et des enfants ont planté des framboisiers, avec : « nourriture à partager » et une petite information. Alors des voisins ont demandé : « Qu’est ce qui se passe ? ». « Oui, c’est sympa ! » Les gens se mettent à parler… Voilà l’étape numéro 3. Chacun fait sa part.

On arrive à l’étape 4. On passe à la dimension collective. On va organiser une réunion publique dans la salle des fêtes. On va sur des marchés. On va créer l’événement en allant à la rencontre des autres pour faire monter le mouvement collectif, ce mouvement citoyen. Et quand on arrive à susciter une certaine dynamique dans la commune, généralement les élus en ont entendu parler et souvent les conseils municipaux viennent à la rencontre.

Et dans l’étape 5, on tente de rallier le conseil municipal de manière à ouvrir l’espace public pour transformer la ville en parcours potager libre et gratuit.

Aujourd’hui, neuf mois auprès le début de l’action, les « Incroyables Comestibles » fleurissent partout en France. On enregistre plus d’une action par jour en France et dans le monde. C’est tellement sympathique, c’est tellement efficace, un véritable retour au bon sens de produire et de consommer localement, que parfois, le même jour, tout se met en place jusqu’au maire et au conseil municipal qui viennent en soutien et qui proposent de coopérer ».

François Rouillay nous fait part ensuite de belles expériences dans son département, mais aussi dans d’autres régions de France. Il nous raconte des initiatives en arboriculture pour remettre en circuit des anciennes espèces et créer des vergers citoyens. Il nous rapporte une dynamique à laquelle des enfants participent activement : « Ces enfants ouvrent une voie pour ce nouvel art de vivre, de produire et consommer facilement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ».

 


 

Changer de système. De la pénurie à l’abondance

 

Dans un contexte de déclin industriel, les anglais à Todmorden ont intitulé le mouvement : « Incredible Edible Unlimited ». Il y a là une ambition : un horizon illimité. « Le cités industrielles en déclin renaissent de leurs cendres et se disent illimitées. La créativité est illimitée. On peut passer d’un système de pénurie à un système d’abondance. Tout cela par un simple changement de regard. Les anglais nous expliquent qu’ils ont quitté la croyance erronée qu’ils étaient victimes de génération en génération, et, du jour au lendemain,  en abandonnant le système de peur de l’autre, de peur du lendemain qui conduit à la loi du plus fort, de la compétition qui, on le voit bien, génère de l’exclusion, on quitte l’ancien système qui ne fonctionne plus et qui est en bout de course pour entrer dans un nouveau système qui est inclusif, accessible à chacun. Les handicapés, les enfants, les personnes âgées peuvent participer de manière simple à créer de l’abondance… C’est facile à comprendre : vous prenez une semence de comestible, vous la plantez dans le sol, la terre vous en rend cent fois plus. Vous en plantez mille, elle en rend cent mille. Et si vous êtes 15 000 à le faire le même jour, qu’est ce qui se passe ? Et bien, c’est ce qui s’est passé à Todmorden. Et aujourd’hui, c’est ce que nous mettons en place dans nos villes : 1 000 pommiers en une journée. Nous invitons les habitants à créer l’abondance sur les territoires. On a une démarche citoyenne qui est très simple : Nourriture à partager… Servez-vous librement ! C’est gratuit ! »

 

Changer de regard

        

Un petit logo représente un haricot qui germe. « C’est une invitation à une prise de conscience. De génération en génération, on nous a transmis cette croyance erronée qui est la peur du manque. Moi-même, j’ai perçu cela. Et donc, j’ai un tas d’exemples. Aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est complètement faux. La terre est généreuse. On plante une graine. La terre nous en rend cent fois plus. Quand vous avez changé de regard et que vous avez commencé à faire l’expérience, vous voyez le monde totalement différent ».

Il y a une grande crise économique et financière en Europe. Il y a des collectivités entières avec des taux de chômage très élevés. Des populations ne profitent pas des bienfaits de la terre. « Si vous changez le regard, et que vous faites le lien entre ces populations et la terre, on peut passer de la pénurie à l’abondance. C’est ce que Todmorden a fait puisqu’en 4 ans. Todmorden est arrivé à 83% d’autosuffisance alimentaire. Maintenant, on peut le faire en 10 mois parce que Todmorden partage son expérience gratuitement avec tout le monde.

Le meilleur est à venir. Pourquoi ? Parce que nous avons décidé de le créer et de le vivre ensemble. En nous connectant et en nous reliant les uns aux autres avec la terre, nous en faisons l’expérience ici et maintenant.

 

Les enfants sont nos guides

 

La raison pour laquelle ce mouvement se développe partout et sans frontières, c’est que c’est simple à réaliser et que la terre est généreuse, si simple que même les enfants peuvent le faire.

Et les enfants aiment le faire. On dit que les enfants sont nos guides. Pourquoi les enfants sont nos guides ? Parce que quand vous confiez à des enfants la responsabilité de planter des semences pour faire un jardin à partager, les enfants vont jusqu’au bout.

D’abord, ils s’émerveillent de manière naturelle. Ils s’émerveillent de voir que cela pousse. Ils trouvent cela merveilleux. Ils vont arroser toutes les semaines.

Ce qui est extraordinaire, c’est que pour l’enfant lorsqu’on lui dit, c’est pour partager, il le croit immédiatement. Pour l’enfant, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est un changement de regard.

 

Fêter l’abondance. Partager un repas

 

Nos amis anglais nous disent : « Célébrate ! ». Faites la fête de l’abondance. Et, pour cela, il n’y a rien de mieux que de partager des fruits et des légumes, en mangeant ensemble. L’assiette, le repas, c’est ce qui nous unit ». François Rouillay évoque l’expérience des « soupes du partage ». On apporte ce qu’on a. « Ceux qui savent cuisiner vont apprendre aux autres à faire de délicieux potages ».

 

Une économie de proximité

 

Qu’est ce que vont penser les maraîchers locaux ? Vont-ils craindre une concurrence ? « Et bien non, c’est tout le contraire. Actuellement, nous sommes soutenus par les maraîchers locaux parce ce que c’est par le changement de regard qu’on va réactiver les circuits courts ». A Todmorden, l’économie est repartie. On recrée des emplois. Le changement repose sur trois plaques tournantes : la communauté (la participation citoyenne), l’éducation et la pédagogie avec en  priorité les enfants, l’économie locale. Si on relie ces trois pôles, « vous avez un cercle vertueux, un système complètement évolutif et accessible à chacun ».

 

Un horizon nouveau

 

«  La terre peut nourrir tous ses enfants sans problème. On se redonne un avenir. On se recrée un monde du possible, un monde de gentillesse, de bienveillance. Non nous ne sommes pas emprisonnés dans la pénurie. Nous sommes créateurs de ce monde où on peut vivre dans une forme d’abondance partagée.

Pierre Rabhi nous parle de « sobriété heureuse ». Il parle des 3 H : humus, humilité, humanité. C’est cela notre leitmotiv : guérir la terre, recréer l’humus et, en humilité, nourrir l’humanité ».

 

La montée d’une conscience nouvelle

 

Dans notre société en mutation où les menaces abondent, il est bon de mettre en évidence des courants et des mouvements à travers lesquels la collaboration et la solidarité se manifestent (5). Ce sont là des signes qui nous encouragent et nous éclairent. Le mouvement : « Incroyables Comestibles » fait partie de ces changements qui débouchent sur un nouveau genre de vie et qui témoignent d’une transformation en profondeur des mentalités. François Rouillay met en évidence la portée de ce changement. C’est à la fois une nouvelle forme d’économie fondée sur le partage et un nouveau genre de vie. Mais c’est aussi une conception nouvelle du monde. Ici, ce n’est plus la force et l’exclusion qui dominent, c’est la collaboration et l’inclusion (6). Ici l’homme ne se prétend plus maître et seigneur de la nature (7), mais il la respecte et considère avec reconnaissance les bienfaits d’une « terre généreuse » et le potentiel d’abondance qui lui est ainsi offert.

 

Nous voyons également dans ce mouvement une signification spirituelle qui transparaît dans cette interview à de nombreuses reprises. « Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». Cette réalité spirituelle est particulièrement sensible chez les enfants qui y sont prédisposés (8). François Rouillay nous montre comment les enfants participent avec enthousiasme à ce mouvement : « Ils s’émerveillent de manière naturelle… Pour eux, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est cela le changement de regard ».

Toutes ces observations évoquent pour nous le message des évangiles. Jésus ne donne-t-il pas les enfants en exemple ? Ne nous montre-il pas un Dieu qui exprime sa bonté dans la profusion de la nature ? Ne nous invite-t-il pas à une convivialité fraternelle dans des repas partagés ? Certes ce message a souvent été perdu de vue dans un héritage religieux en osmose avec une société menacée par la mort et marquée par la domination, la répression et l’exclusion. François Rouillay évoque le souvenir du manque présent encore aujourd’hui, mais en remontant dans le passé, on y rencontre des famines. Ainsi, si nous vivons aujourd’hui dans une période difficile, il y a néanmoins une évolution des esprits qui permet l’éclosion d’un nouveau genre de vie. Les mentalités évoluent. Ainsi reconnaît-on davantage aujourd’hui les dispositions positives et un chercheur comme Jérémie Rifkin a pu écrire un livre sur la reconnaissance et le développement de l’empathie (9). Si le christianisme occidental a été pollué pendant des siècles par l’idéologie mortifère du péché originel, une transformation intervient là aussi. A cet égard, le livre de Lytta Basset : « Osons la bienveillance » est particulièrement éclairant (10). En prenant en exemple certains épisodes de la vie de Jésus, elle nous montre comment la bienveillance peut s’exercer et se répandre aujourd’hui. Et cette vertu est bien présente dans le mouvement des « Incroyables comestibles ». Dans le contexte de notre réflexion personnelle, nous percevons  dans la dynamique de ce mouvement une inspiration de l’Esprit telle qu’elle nous est décrite par Jürgen Moltmann, théologien de l’Espérance (11). « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’« essence » de la création dans l’Esprit, c’est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général » ». La création et le développement des «Incroyables comestibles » nous apparaît comme un phénomène émergent. Moltmann apporte un éclairage sur la signification de l’émergence en y voyant un processus d’« auto-organisation » de la vie, un « saut qualitatif ». Il y perçoit «  une présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et qui, dans l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe la réalité future dans le Royaume de Dieu ».

Les « Incroyables Comestibles » nous apparaissent comme une remarquable « innovation sociale qui revêt une vraie portée socio-politique et socio-culturelle. Bien sûr, dans la crise de grande ampleur à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, cette approche ne résout pas tous les problèmes. Elle apporte sa part, mais c’est une contribution substantielle. Elle participe à l’apparition d’une nouvelle économie et d’un nouveau genre de vie.  Telle qu’elle nous est décrite, elle apparaît comme « une Révolution tranquille » qui concerne à la fois l’économie, le social et la culture. Mise en évidence vécue et concrète d’une étonnante dynamique,  sens visionnaire, expression chaleureuse, bon sens et sagesse se conjuguent pour faire de cette interview de François Rouillay une ressource particulièrement précieuse,  une source d’enthousiasme dans un temps où nous devons faire face à beaucoup de morosité.

J H

 

(1)            La dynamique intervenue à Todmorden est relatée dans une vidéo sous-titrée en français accessible sur le site des « Incroyables Comestibles » http://lesincroyablescomestibles.fr

(2)            Les Incroyables Comestibles. Plantez des légumes. Faites éclore une révolution. L’incroyable histoire de Todmorden. Préface de François Rouillay. Postface de Gilles Daveau. Actes Sud/Colibris, 2015. Ce livre, traduit de l’anglais, relate l’histoire de Todmorden, mais, à travers la contribution de François Rouillay, il rend compte brièvement de l’histoire du mouvement en France et nous donne un état de la situation actuelle comme sa présence active dans quelques villes comme Albi, Bayonne, Besançon et La Rochelle.

(3)            Site des « Incroyables Comestibles » : http://lesincroyablescomestibles.fr

(4)            Interview de François Rouillay en vidéo (Le Chou Brave) : https://www.youtube.com/watch?v=ZfFbD9pBREA

(5)            Des courants et des mouvements novateurs porteurs de collaboration et de solidarité. Sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot) : https://vivreetesperer.com/?p=1394  « Pour une société collaborative » (Pippa Soundy) : https://vivreetesperer.com/?p=1534  Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975       « OuiShare, communauté pionnière dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866 « Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » (Myriam Bertrand) : https://vivreetesperer.com/?p=1780 « Thomas d’Ansembourg : un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156   « Discerner les voies pour une société plus humaine (« Les voies d’espérance ») » : https://vivreetesperer.com/?p=1992 « Appel à la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086

(6)            « Dedans… Dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=439 « Dedans… Dehors ! Un chemin de liberté (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=444

(7)            « Vivre en harmonie. Ecologie, théologie et spiritualité (Jürgen Moltmann) » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(8)            Sur le site de Témoins : « L’enfant est un être spirituel : une prise de conscience révolutionnaire  (Rebecca Nye) » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1106:l’enfant-est-un-être-spirituel&catid=14:developpement-personnel&Itemid=84        Sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

(9)            Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin. Apports, questionnements et enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux

(10)      Sur ce blog : « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand. (Lytta Basset : Osons la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(11)       La pensée de Jürgen Moltmann est présenté sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com   Les citations présentes dans cet article sont extraites du livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988) : p 15 et 25. Et de « Ethics of hope » (Fortress Press, 2012) p 126.