Un mouvement émergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare

communauté leader dans le champ de l’économie collaborative

En considérant le monde d’aujourd’hui, les préoccupations ne manquent pas. Les menaces abondent. Et, en France même, on  perçoit crainte et désarroi. Les récentes élections européennes ont manifesté une poussée de crispations identitaires. Mais l’orientation de notre réflexion dépend beaucoup de notre regard. Si nous sommes inspirés par une espérance qui va au delà des turbulences et des orages marquant notre immédiat, alors nous pourrons être attentifs aux émergences qui préparent un avenir meilleur. Nous prêterons attention aux tendances positives. Le développement de l’économie collaborative en France paraît ainsi exprimer un changement prometteur dans les représentations et les comportements. À cet égard, l’apparition, puis la croissance rapide de la communauté « OuiShare » est un phénomène particulièrement significatif.

En 2012, Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot publient un livre qui, à partir de l’apparition de nouveaux comportements, exprime la vision d’une société collaborative : « Vive la Co-révolution. Pour une société collaborative » (1). Ils mettent en évidence l’éclosion de nombreuses entreprises qui développent des pratiques de partage. Cette révolution tranquille traduit la montée d’une manière nouvelle d’envisager la vie. Ainsi, avons- nous présenté ce livre dans ce blog sous le titre : « Une révolution de l’être ensemble » (2), expression elle-même empruntée à cet ouvrage innovant et visionnaire. En 2013, Anne-Sophie Novel publie un second livre : « Le vie share. Mode d’emploi » (3). Elle définit son livre comme « un espace d’exploration et de discussions sur les alternatives qui s’offrent à nous pour vivre autrement et s’adapter aux crises ». « Cet ouvrage prolonge et complète sous un angle pratique le premier livre : « Vive la Co-révolution ». Et elle note que ce travail est soutenu par « OuiShare », la communauté internationale de l’économie collaborative. Effectivement, le groupe « OuiShare », créé en janvier 2012, a grandi rapidement. Anne-Sophie Novel continue à analyser et à commenter le développement de l’économie collaborative sur un blog qui s’inscrit dans l’espace du journal « Le Monde » : « Même pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » (4).

Ouishare : une communauté émergente qui prend forme

Oui au partage. Oui, nous partageons. Cette affirmation se traduit sous le terme franco-anglais : Ouishare. À l’automne 2011, un petit groupe se réunit chaque mois. Ce sont « des amis qui se sont rencontrés à travers Antonin qui a lancé le premier blog français sur l’économie collaborative ». Et, en janvier 2012, la communauté « OuiShare » est créé à Paris. La croissance va être extrêmement rapide, puisqu’en deux ans, OuiShare est devenue « un leader international dans le champ de l’économie collaborative qui a rapidement évolué, passant d’une poignée de personnes enthousiastes, à un mouvement global dans 25 pays en Europe, Amérique Latine et Moyen Orient avec un réseau des 50 experts connecteurs engagés avec 2000 membres et contributeurs à travers le monde » (5).

         Comment la communauté OuiShare se présente-t-elle aujourd’hui ?

         « OuiShare a pour mission d’apporter aux citoyens, aux institutions publiques et aux entreprises la capacité de développer une économie collaborative fondée sur le partage, la collaboration et l’ouverture en s’appuyant sur des communautés et des réseaux horizontaux. Nous croyons que cette économie peut résoudre une bonne part des défis complexes auxquels le monde fait face et permettre à chacun d’accéder aux ressources et aux opportunités dont il a besoin pour vivre.

         Comme communauté globale, non tournée vers la recherche du profit, les activités de OuiShare consistent à construire une communauté, produire de la connaissance, discuter de projets en rapport avec la communauté et avec l’économie collaborative, offrir un soutien aux individus et aux organisations à travers une formation et des services professionnels ».

         OuiShare trouve son identité dans un ensemble de valeurs qui inspirent comportements et orientations.

« Voici les principes qui nous unissent. Ces principes ne sont pas apparus en un jour, mais ils sont le produit d’un long processus qui a commencé au second  sommet de OuiShare à Rome en novembre 2012. Cette liste exprime un mouvement et elle continuera à évoluer. Ces valeurs se déclinent autour des termes suivants :

° Transparence

° Ouverture : organisation non hiérarchique à laquelle chacun peut se joindre et participer. Un processus qui est fondé sur le gouvernement des pairs

° Rencontre avec les gens de la vie réelle : l’internet ne peut remplacer le contact avec la vie réelle

° Inventivité « Permanent Beta » : Ouishare est une expérience avec une approche de start up. Avec curiosité et ouverture, nous nous efforçons d’entreprendre continuellement des choses nouvelles

° Inclusion : Ouishare bénéficie de contributions très variées

° Indépendance : refus de toute dépendance ; pas de partenariats exclusifs

° Action : agir sans attendre

° Jeu : le travail ne doit pas être ennuyeux

° Feedback : contribue à la participation

° Impact : accélérer le mouvement vers une économie plus participative

Cette liste exprime bien un accent sur le partage, l’ouverture et la créativité.

On peut observer dans OuiShare une dynamique d’association et de participation. Cette dynamique est facilitée par l’engagement  de membres plus engagés dans un travail d’animation et de mise en contact : une cinquantaine de « connecteurs ». Le terme : connection est lui-même significatif. Cette communauté se développe dans une connection en réseau. Mais le processus ne repose pas seulement sur internet. Les organisateurs insistent sur l’importance des rencontres et ils organisent des évènements qui permettent aux membres de faire connaissance et de partager leurs expériences et leurs projets.

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Fête 2014 de OuiShare : l’âge des communautés

Et c’est ainsi que, du 5 au 7 mai 2014, à Paris, au Cabaret Sauvage, a eu lieu la fête 2014 de OuiShare : « L’âge des communautés ». Venant de 50 pays, 1000 participants s’y sont retrouvés. Un moment très dense avec 120 sessions et 140 contributeurs, mais aussi des espaces où la convivialité et la créativité ont pu s’exprimer en témoignant de la vitalité d’une jeune génération (6). On pourra accéder à cette réflexion commune à travers une remarquable politique de communication associant différents apports : vidéos, e books, mais aussi graphismes sur des registres différents où l’expression personnelle est bien présente (7). OuiShare publie également un magazine. La créativité se déploie.

Dans la reconfiguration actuelle du rapport entre individus et entités sociales, on assiste aujourd’hui à la montée d’aspirations nouvelles comme un désir de convivialité et une recherche de sens (8). Le développement de la communauté OuiShare témoigne d’un changement en profondeur dans les représentations et les comportements. Cette émergence se réalise à travers la convergence d’acteurs agissant dans des champs différents. OuiShare est une communauté connectée qui favorise et suscite la créativité et l’esprit d’initiative chez les participants. On pourra interpréter ce phénomène sur différents registres (9). Et le processus à l’œuvre dans cette communauté peut faire école dans d’autres champs. Dans le climat français actuel, où morosité et manque de confiance se font sentir, l’émergence de OuiShare est une bonne nouvelle.

J H

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(1)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (Manifestô)

(2)            Sur ce blog : Présentation du livre : Vive la Co-révolution » « Une révolution de « l’être ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Egalement sur ce blog, une interview de Pippa Soundy à propos du livre : « Vive la Co-révolution » : « Pour une société collaborative. Un avenir pour l’humanité dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

(3)            Novel (Anne-Sophie). La vie share. Mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs. Alternatives, 2013 (Manifestô)

(4)            Blog de Anne-Sophie Novel (M blog) : « Même pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » : http://alternatives.blog.lemonde.fr/

(5)            Site de Ouishare : http://ouishare.net/en

(6)            Présentation du festival 2014 de OuiShare dans sa dynamique et sa diversité sur le site : We demain (Une revue. Un site. Une communauté) : http://www.wedemain.fr/La-generation-co-prepare-l-avenir-au-OuiShare-Fest_a512.html

La revue : We Demain promeut l’économie collaborative, les recherches innovantes et les causes écologiques.

(7)            Une politique de communication pour transmettre tout l’apport du festival : http://magazine.ouishare.net/2014/05/ouishare-fest-collaborative-economy/

(8)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/parcourir-le-site/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html

(9)            Sur ce blog, nous trouvons inspiration dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann. Dans le livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988), Moltmann reconnaît l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans la création, dans le monde et dans l’humanité. Il écrit : « Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit divin… L’« essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber) (p 25). C’est dire l’importance de tout mouvement qui tend vers la collaboration et le partage.

Une révolution en éducation

L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation.

Désir d’apprendre, désir de connaître, désir de comprendre, désir de participer à un univers de sens qui nous dépasse. A travers l’histoire, on peut suivre le mouvement qui en est résulté.

Et, dans les derniers siècles, le désir s’est investi dans le développement de l’école qui a permis l’accès au savoir du plus grand nombre. Et, dans la vie des élèves, cet attrait s’est traduit dans une mobilisation de l’être. Il est des pays où cette mobilisation est particulièrement visible comme en témoigne le film : « Sur le chemin de l’école » (1). Mais, dans cette histoire, il y a deux faces bien différentes. En effet, si l’école, et plus largement l’institution scolaire dans ses différentes étapes, ont suscité un élan, on peut la considérer  également sous un autre jour. En effet, aujourd’hui, elle apparaît également comme un système imposé en fonction d’un double héritage : la hiérarchisation de la société traditionnelle où le pouvoir s’exerce d’en haut à travers de multiples relais ; l’organisation qui a longtemps prévalu dans la société industrielle en terme de production de masse et de normes peu propices à la prise en compte des spécificités industrielles.

Des évolutions et leurs limites.

Ainsi, lorsque le développement progressif de l’autonomie dans les genres de vie a rejoint un idéal de respect de l’enfant et de prise en compte de l’ensemble de son potentiel longtemps refoulé par la culture dominante, alors le système scolaire dans sa forme la plus commune a été de plus en plus interpellé et contesté. On peut retrouver ce mouvement dans le cadre plus général d’une évolution sociale où autonomie et désir de participation sont devenus des réalités majeures. Ce mouvement est international, mais il est plus ou moins précoce et vigoureux selon les pays.

En France, il s’est manifesté dans l’enseignement à travers des pionniers qui sont à l’origine d’expériences novatrices dans ce qu’on a appelé le mouvement de l’Education Nouvelle. De grands noms marquent cette inspiration : Maria Montessori, Decroly, Freinet, Cousinet (2). Dans la seconde moitié du XXè siècle, l’esprit de réforme se répand en se manifestant plus particulièrement dans certaines périodes. Ainsi, juste après la guerre, des « classes nouvelles » apparaissent dans l’enseignement secondaires. L’élève est respecté dans son potentiel et dans son cheminement. Et le travail d’équipe est encouragé. Cependant, la remise en cause du système prend toute son ampleur dans les décennies 60 et 70 dans la foulée de la transformation de notre société qui a été décrite par le sociologue  Henri Mendras dans les termes d’une « Seconde Révolution Française » (3). Il y a à la fois l’accès des milieux  populaires à la scolarisation dans l’enseignement secondaire et le développement de l’autonomie dans les comportements sociaux et culturels qui apparaît dans la jeunesse dès les années 60. Les cadres rigides du système scolaire apparaissent comme une barrière et sont remis en cause. A cet égard, le Colloque d’Amiens est emblématique dans son orientation réformatrice. Quelques mois plus tard, la révolte étudiante en mai 1968 ébranle les institutions, ce qui induit des transformations, mais aussi des résistances en retour. La décennie 70 sera propice aux innovations pédagogiques. Mais la pesanteur du système hiérarchisé et massifié impose des limites.

Dans notre parcours professionnel inspiré par le modèle de la bibliothèque publique (4) qui permet l’accès au savoir à travers de libres cheminements, et plus généralement par le développement des centres documentaires qui favorisent l’autonomie et l’initiative des apprenants (5), nous avons milité pour un changement des processus pédagogiques dans des établissements, eux-mêmes appelés à se départir d’une organisation issue du XIXè siècle (6). Et par ailleurs, dans le même mouvement, l’enseignement des plus jeunes est considéré comme une étape dans une éducation permanente, un processus d’apprentissage tout au long de la vie (« Life-long learning »).

Un constat d’immobilisme.

Dans un regard rétrospectif, nous percevons quelques effets de la mouvance militante et de la volonté réformatrice. Mais nous voyons aussi la puissance de conservation dans les structures et les comportements. La pertinence du système scolaire par rapport aux aspirations et aux besoins ne s’est pas accrue. Et aujourd’hui, nous pouvons constater avec Yann Algan la pesanteur d’un système qui handicape l’ensemble de la société française. Dans un livre récent : « La fabrique de la défiance » (7), Yann Algan, professeur d’économie à Sciences Po, dresse un constat accablant sur la manière dont le système scolaire français induit un manque de confiance chez les élèves.

 Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien, à l’école que les enfants des autre pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire situation  de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, dans les pays méditerranéens ou dans les pays anglo-saxons (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition. Et d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Pisa et Tims) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ».

 Il y a bien aujourd’hui des enseignants et des chercheurs qui militent pour un changement pédagogique et enseignent autrement. (8) On voit aujourd’hui la mise en œuvre d’une réforme des rythmes scolaires. Les signes d’une prise de conscience apparaissent dans les sphères dirigeantes de l’Education Nationale. Il reste que la recherche de Yann Algan et de ses collègues, à partir de données qui ne sont pas anciennes, montrent l’ampleur du chemin à parcourir. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de progrès lents et ponctuels. Si la situation actuelle de l’enseignement français est inacceptable, la mutation actuelle des moyens de communication va la rendre insupportable.

Vers un nouveau paradigme d’éducation.

Aujourd’hui, le monde change à vive allure. Ce changement porte une révolution dans le domaine de l’éducation. Si la France est dans une situation particulièrement difficile, une prise de conscience est également en train d’advenir à l’échelle internationale. Dans le domaine de l’enseignement, nous sommes tous appelés à changer de paradigme. Et, s’il nous semble que les pays anglophones, sur certains points, sont davantage en phase avec une évolution qui s’esquisse depuis des décennies, on peut entendre avec d’autant plus d’attention, la voix d’une personnalité britannique, résidant aujourd’hui en Californie, Sir Kenneth Robinson, lorsqu’il dénonce les effets uniformisateurs et réducteurs du système scolaire. Ken Robinson est un auteur et conférencier anglais, expert dans l’éducation artistique, longtemps professeur dans cette discipline à l’université de Warwick (1986-2001). Il est célèbre pour ses allocutions sur le thème de l’éducation, prononcées avec beaucoup de conviction et d’humour dans le cadre du centre de conférences TED (Technology, Entertainment and Design), et puissamment diffusées sur le web. En 2010, dans un exposé s’appuyant sur un dessin animé réalisé à son intention  par la « Royal Society for the encouragement of art… », il réclame un changement de paradigme en éducation (9). En mai 2013, cette vidéo diffusée sur le web a été visionnée par plus de 10 millions d’internautes.

« L’école », nous dit-il, « nous introduit dans un voie standardisée et annihile la créativité que chaque enfant porte en lui à la naissance ». Déjà, dans les années 60, le chercheur américain, Torrance, avait mis en évidence le concept de créativité. Nous avions relayé ses découvertes en France. Ken Robinson se réfère à une recherche plus récente concernant la « pensée divergente », cette aptitude à formuler un grand nombre de réponses à une même question,  une imagination  créatrice qui permet de résoudre de nombreux problèmes. A partir de la passation d’un test, on a constaté que l’expression de cette faculté est quasi universellement répandue chez les enfants fréquentant des classes maternelles. Mais elle baisse ensuite de plus en plus avec la montée en âge. Le taux de réussite passe ainsi de 98% à 5 ans  à 30% à 10 ans et à 10% à 14 ans. Ken Robinson attribue cet effondrement à l’influence d’une école qui exclut ou limite la coopération et une recherche ouverte.

Ken Robinson nous montre comment le système scolaire actuel est le produit d’une autre époque où un intellectualisme individualiste issu du XVIIIè siècle s’est combiné à une organisation industrielle associant uniformisation, standardisation et division du travail. Aujourd’hui, nous avons besoin de passer d’un « processus mécanique » à un « processus organique ». Les nouveaux modes de communication changent la donne et permettent le changement.

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 La révolution portée par internet.

Effectivement, comme Michel Serres nous l’a remarquablement expliqué dans son livre : « Petite Poucette » (10), à travers l’expansion d’internet, nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle manière de communiquer et d’apprendre.

 A cet égard, une vidéo réalisé par un entrepreneur d’avant-garde, Oussama Ammar, à travers un titre humoristique : « Les barbares attaquent l’éducation » (11) met en lumière la révolution qui est en train de se réaliser dans le domaine de l’enseignement. Lui aussi parle en terme de changement de paradigme et il le fait à partir des innovations qui se développent aujourd’hui à toute allure et bouleversent les conditions de l’enseignement. Oussama Ammar a fondé plusieurs entreprises, codirige « The family », un organisme qui se consacre à l’accélération de la progression des start up, enseigne à Sciences-Po Paris et à l’Université Lyon II. Franco-libanais d’origine, il vit aujourd’hui à l’échelle internationale dans des villes comme San Francisco, Hong Kong, Sao Paulo et Paris.

On peut débattre à propos de quelques unes de ses affirmations préliminaires. Mais ses critiques du modèle actuel rejoignant celles de Ken Robinson, à partir cette fois d’une analyse du fossé qui se creuse entre l’enseignement traditionnel et la nouvelle manière de communiquer. Pour nos parents et grands parents, l’école était « un endroit formidable », mais aujourd’hui, « des millions d’enfants s’y sentent aliénés ». Et il cite des données impressionnantes de l’enquête Pisa, dont nous avons déjà entendu parler par Yann Algan, qui montrent que l’intérêt des « bons élèves » pour l’école est aujourd’hui, depuis cinq ans, en voie de s’effondrer. Et, dans ce cas, ce n’est pas une exception française. Le même phénomène se produit dans de nombreux pays, de l’Allemagne à la Corée. Oussama Ammar associe diagnostic et témoignage. Ainsi, il a connu la période de transition où la prédominance des nouveaux moyens de communication ne s’était pas encore imposée. Des professeurs critiquaient Wikipedia sans se rendre compte de la puissance du processus de production en cours puisque, dans sa version anglophone, il y avait déjà vingt-cinq millions d’articles en ligne. Oussama converge avec Ken Robinson sur la nécessité d’encourager la créativité.

Cependant l’apport de cette vidéo ne se limite pas à une analyse de la situation. Elle nous rapporte le dynamisme impressionnant des innovations dans un champ où l’apprentissage et l’enseignement (« learning and teaching »), se réalisent maintenant sur le web. Les réalisations se multiplient à vive allure dans une véritable épopée qui est aussi une révolution pédagogique.

 Oussama nous parle des Mooc (« Massive Open Online Course »), ces cours mis en ligne par de grandes universités, et en particulier par de prestigieuses universités américaines de Harvard et du MIT à Stanford et Princeton.  En quelques années, le public de ces cours s’est étendu à travers le monde entier et  il comprendrait aujourd’hui 17 millions d’utilisateurs actifs dont le tiers aurait moins de 18 ans. On pourra sur le web visiter les différents sites qui diffusent ces cours (vidéos et exercices) et assurent la certification de ceux qui les ont suivi avec succès. Le phénomène est issu d’initiatives qui se sont développées à partir de grandes universités américaines. Ainsi Edx communique à partir d’Harvard, du MIT et de Berkeley (12). Coursera s’appuie sur Stanford, Princeton et un réseau d’universités qui commence aujourd’hui à s’étendre au delà des Etats-Unis en incluant quelques institutions européennes, ainsi, dans le monde francophone l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et, en France, l’Ecole Polytechnique, l’Ecole Centrale et l’Ecole Normale Supérieure.  Fondée il y a deux ans, Coursera s’est développé avec une rapidité fulgurante. Aujourd’hui, elle dessert 5 300 000 inscrits et diffuse 535 cours réalisés par 107 universités et grandes écoles partenaires (13).

Une autre institution remarquable consiste dans la diffusion sur le web de vidéos communiquant de courts exposés réalisés par des penseurs originaux. Après une période ponctuée par de grandes conférences aux Etats-Unis, le forum TED (Technology, Entertainment and Design) a commencé, à partir de 2007, à diffuser sur le web de courts exposés sur une vaste gamme de sujets dans la recherche et la pratique en science et en culture (14). « Nous croyons passionnément dans le pouvoir des idées pour changer les attitudes, les vies et finalement le monde. Aussi nous développons une « clearinghouse » qui offre libre savoir et inspiration, en provenance des penseurs mondiaux les plus inspirés et aussi une communauté d’esprits curieux (« curious souls ») qui s’impliquent dans les idées et aussi les uns avec les autres ». A partir de 2009, un programme de traduction à partir de l’anglais a commencé à se développer. En juillet 2012, 1300 exposés avaient été mis en ligne et de 5 à 7 nouveaux entretiens paraissaient chaque semaine. En janvier 2007, l’ensemble des vidéos avait été visionné, au total 50 millions de fois, en janvier 2011, 500 millions de fois, en novembre 2012, 1 milliard de fois.

  Comment ne pas reconnaître l’importance d’un tel phénomène ? Oussama Ammar nous décrit un contexte en pleine effervescence. Des enseignants doués s’installent sur le web et se trouvent à même d’attirer rapidement de vastes audiences (Ainsi,Salman Khan, dont les milliers de productions commencent à être traduites en français par la Khan academy (bibliothèques sans frontières). Ainsi, nous dit Oussama, en citant des exemples, « n’importe qui peut enseigner ».

Parallèlement, on observe de brillantes performances chez certains enfants qui, en tirant parti des connaissances désormais accessibles réalisent des dispositifs complexes. C’est, par exemple, Didier Focus, un enfant nigérian, qui, à quatorze ans, permet à son village d’accéder à l’électricité et gagne de surcroit un prix du MIT.

A travers l’ordinateur, une éducation informelle se développe dans les pays pauvres. Ainsi, en Inde, après avoir placé un  ordinateur en libre accès dans un bidonville, on constate quelques mois plus tard, que son usage a suscité de nouveaux savoirs comme par exemple l’apprentissage de l’anglais ou de la programmation. Les jeux permettent également le développement de nouvelles compétences.

Une révolution en éducation.

Dans « Petite Poucette » (10), Michel Serres, lui-même professeur dans l’enseignement supérieur, évoque brillamment le changement qu’internet a introduit dans le comportement des étudiants. Les mentalités ont changé. « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà partout sur la toile, disponible, objectivé … Le transmettre à tous ? Voilà, c’est fait ! » (p 19). Cette mutation interpelle les rapports sociaux traditionnels. Mais elle entraîne également un changement profond dans les usages du savoir. « Libéré des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes musicales de sa voix » (p 52). Le « collectif » laisse sa place au « connectif » (p 65). Le nouveau mode d’accès à la connaissance s’accompagne d’une transformation de notre maniement de celle-ci. « Entre nos mains, la boite ordi contient et fait fonctionner ce que nous appelions jadis nos facultés. Que reste-t-il ? L’intuition novatrice et vivace. Tombé dans la boite, l’apprentissage laisse la joie d’inventer » (p 28).

Ainsi, si les pratiques traditionnelles résistent encore, elles ont perdu leur emprise. Pendant des décennies, le changement en éducation a dépendu de la mise en oeuvre d’un idéal, d’une compréhension, et puis, dans la seconde moitié du XXè siècle, de la montée progressive d’aspirations nouvelles fondées sur l’apparition et le développement d’un nouveau genre de vie. Nous avons participé aux actions engagées pour modifier le cours de l’enseignement et de l’éducation. Mais l’innovation se heurtait aux pesanteurs des structures et des comportements. Et les données toutes récentes rassemblées par Yann Algan dans son livre : « La fabrique de la défiance »  montrent combien l’immobilisme a longtemps prévalu. Et bien, aujourd’hui, le développement d’internet et des nouveaux modes de communication a changé la donne. Quelque soient les obstacles systémiques ou les résistances culturelles, la transformation a commencé et le mouvement est irréversible. Cette évolution est internationale.Nous sommes engagés dans une révolution de l’éducation. Un nouveau paradigme est en voie de se manifester. Nous nous dirigeons vers une offre permettant la personnalisation de l’éducation et son accompagnement tout au long de la vie. La transmission des savoirs par internet est une composante essentielle de cette évolution qui implique par ailleurs le développement de la vie relationnelle et de la convivialité. Et, certes, là comme ailleurs, le changement est dans durée, mais nous savons quel est le sens de cette transformation.

En écoutant Oussama Ammar nous décrire les innovations en cours dans le sillage d’internet, nous éprouvions une forme d’émerveillement en prenant conscience de la puissance du mouvement en cours et de l’horizon qui s’ouvre aujourd’hui à nous. Dans ce temps de crise où les périls abondent, nous voyons là une ouverture parmi d’autres. Ce phénomène nous apparaît comme une émergence. Nous entendons à ce sujet la parole du théologien Jürgen Moltmann lorsqu’il écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est la collaboration et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (15). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action.

Aujourd’hui, un avenir se construit sous nos yeux.

J H

(1)            Sur le chemin de l’école : Film documentaire de Pascal Plisson. Voir la présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(2)            On trouvera une abondante documentation et réflexion sur les mouvements d’éducation nouvelle et les innovations mises en oeuvre dans les décennies 60 et 70 dans la revue Education et Développement parue de 1964 à 1980. Voir le livre : Une revue en perspective : Education et développement. Textes présenté par Louis Raillon et Jean Hassenforder. L’Harmattan, 1998 (Série références).

(3)            Mendras (Henri). La Seconde Révolution Française 1965-1984. Paris, Gallimard, 1988 (actuellement en poche : folio).

(4)            Hassenforder (Jean). Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXè siècle (1850-1914). Paris, Cercle de la Librairie, 1967. Edition numérique en ligne : http://barthes.enssib.fr/travaux/Caraco-Hassenforder-dvpt-compare-bib-publiques.pdf

(5)            Hassenforder (Jean), Lefort (Geneviève). Une nouvelle manière d’enseigner. Pédagogie et documentation. Les cahiers de l’enfance, 1977 (Collection éducation et développement).

(6)            Hassenforder (Jean). L’innovation dans l’enseignement. Un avenir qui se construit sous nos yeux. Casterman, 1972 (poche).

(7)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Voir une mise en perspective sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(8)            Cercle de recherche et d’action pédagogique : Un mouvement d’enseignants qui œuvre pour une éducation nouvelle et un changement dans l’école et la société depuis plusieurs décennies notamment à travers la publication d’une revue : Les Cahiers pédagogiques. Site : http://www.cahiers-pedagogiques.com/ Sur ce blog, la recherche pédagogique de Britt-Mari Barth : « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(9)            Site de Ken Robinson en français : http://www.kenrobinson.fr/ On trouve sur ce site des liens avec les différentes vidéos des interventions de Ken  Robinson, notamment celle de 2010 sur le paradigme en éducation présentant un commentaire interactif  avec une illustration (RSA animate) et un sous-titrage en français. http://www.kenrobinson.fr/voir/ Cette vidéo est présentée par ailleurs en français : Créa. Apprendre la vie : Du paradigme de l’éducation (en regrettant cependant l’absence de la mention d’origine) : http://www.youtube.com/watch?v=e1LRrVYb8IE

(10)      Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes). Mise en perspective sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître » : https://vivreetesperer.com/?p=820

(11)      The family. Oussama Ammar. « Les barbares attaquent l’éducation » : http://www.youtube.com/watch?v=FoOAEIoJrjc

(12)      Edx. Take great courses of the world’s best universities. https://www.edx.org/

(13)      Coursera. Education for everyone : http://www.youtube.com/user/courses

(14)      TED : http://www.ted.com/ Histoire et situation actuelle de TED sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)

(15)      Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 (citation p 25). Voir sur ce blog : « Dieu suscite la communion » : https://vivreetesperer.com/?p=564

Susciter un climat de convivialité et de partage

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La bibliothèque comme espace de rencontre

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         Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rôle de médiatrice.

«  La bibliothèque est un carrefour. les gens s’y croisent pour des motifs extrêmement variés. Comme bibliothécaire, j’ai essayé de permettre à des gens qui passent de se sentir bien à l’aise dans ce lieu pour y découvrir ce qu’il offre et croiser leurs découvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup d’écoute surtout si l’on veut entendre les suggestions des gens ».

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         Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?

« Il y a d’abord une rupture avec l’ancienne conception de la bibliothèque. Ce ne sont plus les collections qui sont premières et qui définissent la bibliothèque. La médiathèque publique s’inscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, c’est un espace de rencontre entre une population et des supports d’information divers, à travers des échanges et des temps de convivialité.  Je ne m’adresse pas à des lecteurs isolés, mais à une population . Et, dans cette population, seule une minorité est initiée à l’usage classique de la bibliothèque . L’essentiel du travail des bibliothécaires, outre l’acquisition de tous les médias, est de faire en sorte que l’ensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisés avec le lieu, en découvrent l’usage et puissent se l’approprier ».

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         Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.

«  Je pense par exemple à de jeunes mamans d’origine étrangère, accueillies dans un foyer. On est allé lire régulièrement des livres à leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont été accueillies à la bibliothèque. On les a vraiment reçues avec un thé à la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce à quoi servait la bibliothèque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues régulièrement pour elles-mêmes. Elles se sont servies de l’ordinateur pour celles qui savaient écrire et lire. Elles se sont mises à emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » à part entière.

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         Dans la bibliothèque, il y a un rayon important de nouveautés. Nous essayons d’être très réactifs aux nouvelles parutions. Spontanément ;les lecteurs ont très vite donné leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. C’est un exemple de la manière dont les lecteurs ont investi le lieu ;

         Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer d’organiser un ciné club. Avec lui, nous avons décidé de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une séance autour d’ un film choisi par lui. Et cela marche très bien.

         Des lecteurs nous ont également proposé à plusieurs reprises d’inviter un musicien, un auteur qu’ils connaissaient.

         Effectivement, on constate un grand désir de participation.  Après l’ouverture d’une médiathèque, une quinzaine de personnes ont proposé spontanément de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans qu’on les ait le moins du monde sollicitées. A partir de là, nous avons organisé des séances de soutien scolaire.

         Autre exemple d’investissement personnel. Nous avons une table dévolue à un jeu d’échecs. Tous les samedis, sans qu’on le connaisse au début et sans qu’on lui demande, un monsieur d’un certain âge est venu s’installer à cette table d’échec et s’est mis à jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit à petit, il a appris aux enfants à jouer aux échecs.

         Nous avons un jardin dans la bibliothèque. Un papa s’est proposé pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.

         Aujourd’hui, les mamans étrangères ont pris l’habitude d’entrer dans la bibliothèque et d’y passer un bon moment lorsqu ’elles viennent chercher leurs enfants. J’ai l’impression que les gens se sentent chez eux.

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         Nous réservons le même accueil aux adolescents.

Un garçon qui, en classe de troisième, avait à lire « la Vénus d’Isle » de Prosper Mérimée, difficile pour un garçon de cet âge, cherchait ce livre. Il m’a dit : « J’en ai marre. Je n’arrive jamais à lire ces livres. C’est trop difficile ». En fait, il aurait souhaité que je fasse une fiche de lecture à sa place. Je lui ai proposé de lui lire à haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu qu’il revienne  pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu l’ensemble du livre. Et, en même temps, je l’ai aidé à décrypter certaines expressions difficiles. Cela a changé beaucoup son attitude vis-à-vis de la bibliothèque et peut-être vis-à-vis de la lecture.

         J’ai rencontré un  ancien petit lecteur qui est devenu unélu municipal. Je lui lisais souvent le début des livres qu’il devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il m’a dit que cela l’avait beaucoup aidé. Cela lui avait permis de faire le pas pour s’approprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothécaire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi à « entrer en littérature »..

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          Comment un climat convivial émerge-t-il ?

« A la bibliothèque Louise Michel, on a créé le café de Louise, un temps d’échange sur les livres que les gens auto-gérent pratiquement. Entre eux, les gens échangent sur leurs lectures. C’est comme dans un ciné club.

         La bibliothèque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent à parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec d’autres lecteurs ou avec des bibliothécaires.

         A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, c’est un lieu de gratuité. Les gens ne sont pas forcé de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mêmes. C’est donc un lieu de respiration où on peut se poser, se ressourcer. C’est un lieu de vie sociale où on peut entrer en contact avec d’autres dans un climat convivial ».

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Contribution de Blandine Aurenche.

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Sur le même sujet,on pourra lire aussi :

Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ».  https://vivreetesperer.com/?p=523

Sur le site de Témoins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

Une nouvelle manière d’enseigner : Participer ensemble à une recherche de sens

L’approche pédagogique de Britt-Mari Barth

 

 

A travers ses recherches et les livres dans lesquels celles-ci sont exposées, Britt-Mari Barth propose une nouvelle manière d’enseigner. Mais, en quoi les pratiques traditionnelles deviennent-elles aujourd’hui contre productives ?

 

Les pratiques traditionnelles deviennent contreproductives dans ce sens qu’elles ne prennent pas en compte ce qu’on sait aujourd’hui sur la façon dont on  apprend. Traditionnellement, le savoir est conçu comme un « contenu » qu’on expose à des élèves qui doivent écouter passivement et prendre des notes – pour ensuite mémoriser ce contenu –  on présuppose que c’est la clarté du l’exposé qui compte. Si le « message » est clair (cf le schéma de la communication de Shannon) et si l’élève est attentif et écoute, il devrait apprendre. Dans cette approche , c’est le message  qui compte,  on ne s’occupe pas de la manière dont  l’élève va recevoir ce  message, s’il l’a compris ou pas, si cela fait sens pour lui ou non. C’est comme si les mots étaient le sens et qu’il suffit de les apprendre pas cœur pour avoir « appris ». Mais pour apprendre, il ne suffit pas de mémoriser des réponses, il faut comprendre le sens – et cela  demande une  autre approche pédagogique. La compréhension et la capacité d’agir avec le savoir devient d’autant plus important que nous prenons conscience des défis nouveaux qui marquent notre temps. Tous les futurs citoyens ont besoin de comprendre les enjeux de la société aujourd’hui. L’information est disponible par un simple clique, mais les élèves ont besoin de savoir faire des liens, de comprendre et de poser les bonnes questions, de localiser et de choisir l’information pertinente, de la vérifier,de s’en servir… Il s’agit là des capacités intellectuelles qu’on doit apprendre et s ‘exercer à mettre en oeuvre à l’école.

 

Britt-Mari Barth a un parcours original, puisque de nationalité suédoise, elle est venue s’installer en France. Mère de trois enfants en âge scolaire, elle a porté un regard neuf sur l’enseignement français. A partir de là, elle a commencé à imaginer une pratique innovante.

 

Justement, je voulais inviter les élèves à participer à des activités qui les incitaient à réfléchir, à chercher à comprendre, à participer à des interactions, à trouver un intérêt à cette recherche de sens, un peu comme des chercheurs le font… Pour cela j’ai conçu des « scénarios », qui peuvent se comparer à des jeux de société, avec des règles qu’il faut suivre pour atteindre le but.  Ces scénarios proposent une activité  à laquelle les élèves participent, en collaboration avec les autres, pour produire quelque chose qui a du sens pour eux. L’activité doit avoir un début et une fin, offrir quelque défi, sans être trop difficile. Il faut que les élèves comprennent le but de l’activité, et qu’ils sachent que l’enseignant est là pour les aider en cas de besoin et qu’on a le droit à faire des erreurs. En expérimentant ces scénarios en classe, on pouvait remarquer que non seulement les élèves apprenaient mieux – ils comprenaient le sens de ce qu’il fallait apprendre – mais ils y prenaient plaisir ! Du coup, ils s’en souvenaient mieux et pouvaient mieux se servir de ce qu’ils avaient appris –  et ils prenaient confiance en leur capacité d’apprendre.

 

Britt-Mari Barth est devenue progressivement chercheur en pédagogie. Elle en est venue à proposer une nouvelle approche pédagogique. Quelles en sont les caractéristiques ?

 

En observant ce qui se passait en classe,  j’ai voulu mieux comprendre  les raisons de cette « réussite » : quelles étaient les conditions mises en œuvre qui avaient favorisé les apprentissages ? J’en ai trouvé cinq , qu’on pourrait appeler les « points incontournables » pour l’enseignant afin de guider les élèves vers la co-construction du sens.

 

Les deux premières conditions se trouvent en amont de « la leçon ». Elles soulignent  l’importance de bien définir le savoir à enseigner et ceci en prenant en compte la façon  dont les élèves doivent faire la démonstration de leur compréhension. Apprendre quoi ? Pour faire quoi ? L’enjeu pour l’enseignant est de ne pas avoir une conception trop statique du savoir, sous forme d’une définition abstraite, mais de savoir le transformer en des situations qui le rendent vivant,  qui donnent accès au sens. Pour cela, il faut des situations ou des exemples vairés, permettant à chacune de cibler le sens. Tous les savoirs peuvent s’exprimer dans des formes et des langages différents, il s’agit de multiplier et de varier ces formes selon le contexte et le but recherché. Ces situations du savoir-en-action véhiculent le sens d’une façon plus directe que des explications abstraites. Les situations-exemples  sont donc une entrée pour se familiariser avec un contenu abstrait. Des contre-exemples, par leur contraste, peuvent aider à cerner, limiter le sens. Car, in fine, il s’agit de pouvoir exprimer le sens avec les mots justes – mais le sens n’est pas un déjà-là. Il faut que chacun le construise.

 

La troisième condition souligne l’importance de solliciter l’intention d’apprendre des élèves. Le rôle de l’enseignant est ici essentiel. C’est son propre engagement et son invitation aux élèves à relever un défi qui vont d’abord leur donner envie de se lancer dans les activités proposées. Mais les élèves ont également besoin de se sentir en sécurité lors des situations d’apprentissage, de savoir que l’enseignant est là pour les aider.  Cette attitude, ou posture de l’enseignant est au cœur de l’approche et les « scénarios pour apprendre » sont conçus dans cet esprit. La motivation peut alors se construire au fur et à mesure que le travail avance et que les élèves y trouvent un sens personnel. 

 

La quatrième condition met au centre la façon dont l’enseignant sollicite, guide et accompagne la réflexion des élèves. Il le fait en leur proposant de bons supports pour la pensée – avec quoi et avec qui les élèves vont-ils penser ? … C’est dans l’espace même de l’activité réflexive et du dialogue que le  sens s’élabore, l’attention des élèves étant guidée  par le choix et l’ordre des exemples, par le contraste des contre-exemples, par les questions et l’écoute de l’enseignant. L’incitation systématique à justifier sa réponse oblige à anticiper la cohérence de ses propos et invite à l’argumentation. On n’est plus uniquement dans un « monde sur papier », un monde abstrait, mais dans une activité  collective qui conduit à relier – dans un aller-retour continu – la connaissance abstraite à son référent concret. On passe par les expériences contextualisées pour les insérer dans une unité plus large qui lui donne sens.

Progressivement, les élèves comprennent que ces « outils de pensée » sont valables dans d’autres situations. Ce qui nous amène à la cinquième condition.

 

La cinquième condition nous mène vers la métacognition. Celle-ci consiste à faire un retour réflexif sur sa pensée pour en prendre conscience. La métacognition a pour but d’élargir le champ de la conscience des apprenants et donc leur capacité à réutiliser ce qu’ils ont appris dans des contextes différents. Elle permet ainsi de devenir davantage conscient de ce que l’on sait, de comprendre comment on a appris, ce qui permet, progressivement, de mobiliser ses connaissances et de reproduire ces processus dans un autre contexte.

 

Ces cinq « points incontournables » :

 

– définir le savoir à enseigner

– exprimer le sens dans des formes concrètes

– engager les apprenants

– guider le processus

– préparer au transfert des connaissances

peuvent alors constituer une grille d’analyse pour guider le travail de           l’ enseignant.

 

La recherche de Britt-Mari Barth s’est immédiatement inscrite dans une perspective internationale. Ainsi a-t-elle pu bénéficier de l’apport de quelques chercheurs réputés. En quoi cet apport a-t-il éclairé cette recherche ?

 

J’ai eu de la chance, dés mes débuts, de rencontrer des œuvres et des personnes  qui ont guidé et inspiré mon travail. D’abord, Jerome Bruner, psychologue américain, un des pionniers de la psychologie cognitive et qui a changé notre vision du développement humain. A une époque où  l’inconscient  de Freud était au programme dans la formation des enseignants, l’idée de la conscience , avec la métacognition  (revenir sur sa pensée pour en prendre conscience), est venue nous surprendre. Bruner montrait l’importance de « l’attention conjointe » pour pouvoir penser ensemble  et d’avoir une structure d’interaction pour guider et soutenir la réflexion. Plus tard, j’ai connu Howard Gardner qui était un des premiers théoriciens à nous faire la démonstration qu’il n’y a pas qu’une seule « intelligence générale » qui fonctionne partout : on l’a ou l’on ne l’a pas, et cela se mesure en Q.I. dès l’âge de trois ans … Au contraire, il y a des « potentialités » de modes cognitifs différents et multiples, qui s’expriment dans diverses tâches ou divers contextes culturels. Il n’y a donc pas d’ « intelligence pure » qui  s’exercerait hors contexte. Pour être « intelligent » dans un domaine donné, il faut apprendre à utiliser les langages symboliques qui expriment chaque domaine de savoir. D’où l’importance de bien les enseigner. Par ailleurs, chaque intelligence peut être mobilisé dans un large ensemble de domaines. Cela invite à varier les activités et le contextes jusqu’à ce qu’on ait atteint un « terrain commun » d’où le sens peut émerger . Ce dernier point me semble très important et c’est le biologiste Francisco Varela qui m’a permis de bien le comprendre. Il montre que chaque personne a une  structure cognitive interne  qui se développe de façon autonome, il faut donc respecter cela si l’on veut amener un élève à changer de « structure », de compréhension…

 

 

Les propositions de Britt-Mari Barth intervient à une époque où les représentations et les comportements changent constamment. En quoi cette nouvelle manière d’enseigner répond-elle au changement dans les mentalités ?

 

Nous sommes beaucoup plus conscients aujourd’hui  du besoin des interactions pour apprendre. Nous n’apprenons pas seuls, nous apprenons par interaction, avec les autres et avec les « outils de pensée » que notre environnement nous rend accessibles. Cela se remarque d’autant plus aujourd’hui que nous vivons une mutation technologique, une révolution portée par le numérique, une « « culture multi-média ». Issus de cette « cyberculture », qualifiés de « digital natives », les élèves ont également changé et ils ne viennent plus à l’école avec les mêmes attentes – et l’école ne peut plus l’ignorer. Ils sont experts en nouvelles technologies et ils ont l’habitude d’être en communication constante sur les réseaux sociaux. Il y a un rapport nouveau au savoir et à l’apprentissage, élèves et professeurs ont accès aux mêmes informations. Les mutations actuelles de notre société laissent penser que la nature de l’enseignement et de la formation va être amenée à changer radicalement. Cela ne veut pas dire que l’école est moins indispensable qu’avant, mais les rôles des enseignants et des élèves ont changé. Les propositions que j’ai faites vont dans ce sens, elles offrent plus de place aux élèves « d’apprendre ensemble », de participer activement à la construction de leur savoir.

 

Britt-Mari Barth travaille avec des professeurs innovants, mais ses livres s’adressent à tous les enseignants. Comment ses idées sont-elles reçues ?

 

Au fil des années, j’ai formé un grand nombre d’enseignants, y compris dans les classes. J’ai été agréablement surprise de l’enthousiasme avec lequel les enseignants ont reçu ces « outils » et les ont mis en œuvre à leur manière. Je pense que cela s’explique par le fait que quand la confiance mutuelle s’installe dans une tâche avec un but commun,  un langage commun, avec des outils pertinents qui permettent une certaine prise sur la réussite de l’entreprise, cela donne une forte motivation de s’impliquer, intellectuellement et affectivement. Et ce sont là les conditions premières pour qu’un apprentissage ait lieu. Le rôle de l’enseignant change. Au lieu d’exposer son savoir, il le met au service des élèves pour qu’ils puissent construire le leur. Il devient un médiateur entre les élèves et le savoir, celui qui organise des rencontres avec ce dernier, dans ses formes vivantes, pour que tous les élèves puissent interagir avec ce savoir et entre eux. Il est à la fois l’inspirateur et le catalyseur, le modèle et l’accompagnateur… c’est un rôle plus exigeant mais plus valorisant.

 

Les usagers de l’enseignement : élèves, étudiants, parents, sont évidemment particulièrement concernés. Comment peuvent-ils participer à ce grand changement ?

 

Quand les élèves ou les étudiants deviennent plus conscients des méthodes et des outils pour apprendre, ils deviennent plus autonomes et développent une plus grande aptitude à agir. Ils se sentent plus auteurs de leurs apprentissages et peuvent devenir plus responsables – pour eux-mêmes et, pourquoi pas, pour les autres. Ils peuvent travailler entre eux, à l’aide des outils numériques, par exemple, en posant des questions… Avec une vision plus claire de ce que le savoir leur permet de faire, comme par exemple résoudre un problème, analyser une situation ou une lecture, porter un jugement sur un événement qui se passe…les apprentissages scolaires prennent plus de sens pour eux, ils peuvent en parler avec les parents qui peuvent également apporter leur pierre à ce « savoir en construction ». La diversité, au lieu d’être un obstacle, peut devenir un atout pour enrichir les connaissances.

 

L’enseignement joue un rôle majeur dans notre société. Quelle vision, Britt-Mari Barth nous communique-t-elle ?

 

Le nouveau « enseignant-médiateur » a changé la vision qu’il avait des apprenants,  il ne se pose plus les mêmes questions, il ne conçoit plus son rôle de la même façon. Il ne se pose plus la question de savoir si l’on a «couvert le programme », si les élèves sont attentifs, motivés, « bons », ou non. Ses questions concernent plutôt la manière dont on peut utiliser les moyens qui existent (y compris les outils numériques) pour outiller les élèves à mieux penser et à mieux apprendre et à apprendre avec plus de plaisir : comment on peut les stimuler, leur proposer des défis, leur donner envie d’apprendre… La motivation – et la confiance en soi – conçue comme une disposition à relever des défis, prendre une initiative, ne pas craindre les erreurs, avoir de la persévérance… peut ainsi se construire. Ce n’est pas nouveau en soi, c’est ce que les « bons enseignants » ont sans doute toujours fait… Mais il faudrait devenir plus conscient de ce que fait « un bon prof », comment il s ‘y prend… dans quel but… et former tous les enseignants à se poser de telles questions et à être outillés pour y répondre.

 

Contribution de Britt-Mari Barth

 

Britt-Mari Barth est professeur émérite à l’Institut Supérieur de Pédagogie de l’Institut Catholique de Paris où elle enseigne depuis 1976 . Ses travaux s’inscrivent dans une approche socio-cognitive  de la médiation des apprentissages et ont débouché sur une approche pédagogique connue sous le nom de « Construction de concepts ». Ses travaux sont exposés dans deux livres fondamentaux : « L’apprentissage de l’abstraction » et « Le savoir en construction » publiés aux Editions Retz. Britt-Mari Barth vient de publier un nouveau livre : « Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs » aux Editions Retz et aux éditions Chenelière, Montréal. Ses écrits sont traduits en huit langues.

 

http://www.editions-retz.com/auteur-1127.html

Une nouvelle manière d’être et de connaître / 2

Vers une société participative

« Petite Poucette » de Michel Serres.

Puisqu’à travers internet, le savoir est en voie de devenir accessible à tous, les conditions de l’enseignement s’en trouvent changées.  Jusqu’ici, « un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l’écrit… Sa chaire faisait entendre  ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait du silence. Il ne l’obtient plus… » (p 35). Et, ici, Michel Serres, lui même professeur dans l’enseignement supérieur, parle d’expérience. Aujourd’hui, « le bavardage vient d’atteindre le supérieur où les amphis débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire d’un brouhaha permanent… » ( p 35). Petite Poucette ne lit, ni ne désire ouir l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduite au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères, produisent en chœur désormais un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture… Pourquoi bavarde-t-elle ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà… En entier. A disposition.  Sous la main.. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente » (p 36).

Et de fait, il y ainsi un changement majeur dans le rapport entre l’offre et la demande.

« Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, celle-ci n’eut jamais le souci d’écouter l’avis ou les choix de la demande… Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d’un autre savoir… L’offre sans demande est morte ce matin. L’offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l’école, je vais dire que cela le devient de la politique.  «  (p 37).

Michel Serres nous invite à entendre une voix qui monte, la voix d’une multitude qui est en train de s’émanciper des formatages et des conduites imposées et cherche à s’exprimer. Dans le passé, « Tout le monde semblait croire que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs, qu’en amont, l’offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout… Peut-être, cette ère a-t-elle eu lieu. Elle se termine sous nos yeux, au travail, à l’hôpital, en route, en groupe, sur la place publique, partout… Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix » (p 52)

Michel Serres met en évidence les faits précurseurs. Il nous montre les faits significatifs. Il nous invite à voir au delà des pesanteurs qui nous affectent encore. Effectivement, l’expression est en train de se développer à toute allure. « Tout le monde veut parler. Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase. (p 59).

Il y a quelque part dans l’approche de Michel Serres, une démarche prophétique. Il nous montre les voies d’une émergence et il sait s’indigner face aux cynismes qui se réfèrent à un passé mortifère. « Petite Poucette apostrophe ses pères : Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me l’enseigna ? Vous-même avez-vous su faire équipe ?… Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami »… Mais n’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? » (p 60). Et de rappeler les appartenances sanguinaires qui ont prévalu dans le passé : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie.. A ces appartenances nommées par des virtualités abstraites : armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille, marché, dont les livres d’histoire chantent la gloire sanglante, je préfère notre virtuel immanent qui ne demande la mort de personnes » (p 61-62).

Oui, une société nouvelle est en train de naître. Face à de grandes machines publiques ou privées qui imposent leur puissance géante au nom d’une prétendue compétence, les « Petits Poucets », les gens d’aujourd’hui ont désormais accès à une information qui leur permet d’en savoir plus ou autant que les puissants. « Le partage symétrise l’enseignement, les soins, le travail…Le « collectif » laisse la place au « connectif »… (p 65). Mais en même temps, Michel Serres dénonce les forces qui s’opposent à cette évolution, et notamment, les travers de la société du spectacle. N’y a-t-il pas là une forme d’intoxication collective qui distrait et endort les esprits à travers un étalage de superficiel, de clinquant, de spectaculaire, et parfois aussi une excitation des pulsions les plus négatives.

« Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude anonyme sur les élites dirigeants bien identifiées, du savoir discuté sur les doctrines enseignées, d’une société immatérielle, librement connectée sur la société du spectacle à sens unique » (couverture)

J.H

Suite de la précédente contribution : La grande mutation dans la transmission du savoir. Suite dans deux prochaine contributions : Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Regard nouveau pour un monde nouveau.