Vers une société associative

 Transformation sociale et émergence d’un individu relationnel.

« La contresociété », selon Roger Sue

 livre_galerie_486         Si certains épisodes comme l’élection présidentielle en France suscitent des mobilisations, dans la durée, on assiste plutôt à un rejet du pouvoir politique qui s’exprime à travers un pessimisme et un désengagement. Plus généralement, dans tous les domaines, les institutions hiérarchisées, qui ont longtemps encadré la société française, sont aujourd’hui plus ou moins sujet de défiance. Ainsi, peut-on ressentir un malaise dans la vie publique qui s’exprime dans un vocabulaire de crise. Ce désarroi se conjugue avec une révolte diffuse qui nourrit les extrémismes. Et pourtant, on peut également observer en regard des mouvements qui sont porteurs d’espoir. Nous avons besoin d’y voir plus clair. Cette situation appelle des diagnostics et des propositions.

A cet égard, des chercheurs en sciences sociales viennent éclairer les transformations actuelles. Ainsi, dans son livre : « La contresociété » (1), Roger Sue nous apporte une vision positive : « Le contrat social ne tient plus ». Dans le vide actuel, « surgissent les monstres, les extrémistes de l’ordre et du désordre. Mais se lève aussi l’immense majorité des individus anonymes, qui, hors des institutions verticales, retissent les liens d’une société horizontale et associative, une contresociété. Celle des réseaux qui créent internet, celle de l’économie collaborative qui renouvelle la relation au travail et à la richesse, celle de la connaissance qui défie ceux qui prétendent à son monopole, celle de l’engagement et de l’action qui redonne son sens original à la politique et à la démocratie… » (page de couverture)

Dans ce livre, Roger Sue met en évidence, par delà les héritages encore dominants, l’émergence d’une nouvelle forme de lien social, d’un « individu relationnel », moteur d’une société associative. Il décrit les comportements, les initiatives, les innovations qui portent ce changement et en témoignent. Enfin, en conclusion, il propose trois orientations stratégiques pour que « la contresociété devienne la société elle-même et dessine une autre figure politique en rapport avec l’évolution du lien social : l’ouverture de l’école à la société de la connaissance, l’universalité du service civique et la participation des citoyens à la politique ».

 

Une nouvelle manière de vivre en société

Si nous ressentons un état de crise qui entraine un repli, une morosité et se traduit par un rejet du politique, Roger Sue perçoit, dans le même temps, un mouvement sous-jacent dans lequel s’élabore une nouvelle manière d’envisager la société. A l’encontre de la société dominante, cette « contresociété » « préfigure de nouveaux modes d’organisation du social, de l’économique et du politique ». « Là où la plupart des observateurs décrivent la fragmentation, l’éclatement, la déconstruction des collectifs, le repli sur soi, sur fond de désert idéologique et politique,  et l’absence d’avenir, émerge un mouvement social de fond… » (p 8). Ce mouvement, en opposition aux formes anciennes de la société, s’affirme dans la désertion et la contestation, mais aussi dans la reconstruction. L’auteur décrit ces trois moments, mais comme les deux premiers , nous paraissent bien identifiés, nous mettons l’accent sur son analyse concernant la reconstruction.

Roger Sue nous appelle d’abord à ne pas nous focaliser sur la crise dans l’attente d’un retour au passé. « Le discours du retour au passé reste le fond de la promesses politique, à gauche et à droite, et à fortiori à l’extrême droite » (p 11). Nous ne devrions pas nous sentir prisonniers de représentations de l’économie liées au passé. Au delà des vicissitudes de l’économie, une transformation sociale est en cours qui va elle-même influer sur la vie économique. Un mouvement de fond est en train d’apparaître. « il est lié aux nouvelles manières de vivre ensemble, de se lier aux autres, de communiquer, de produire d’apprendre, de « faire société », bref aux évolutions du lien social » (p 13). Cette évolution est une nouvelle étape d’une transformation historique : « Le lien communautaire du passé enfermait la société et leurs membres sur eux-mêmes, dans leurs traditions statutaires et séculaires, et dans une économie de la reproduction relativement autarcique alors que la naissance de l’individu les ouvre aux liens contractuels de la modernité, à la démocratie, au marché, au progrès et au développement »  (p 15).

Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle étape. « L’évolution du lien social se caractérise par la montée en puissance d’un individu relationnel : les réseaux sociaux et associatifs ne se sont pas étendus aussi rapidement, puissamment et efficacement par hasard… ». « Un lien d’association ou de l’associativité se diffuse dans l’ensemble des relations sociales » et ce phénomène « a une portée révolutionnaire encore ignorée, de la famille à l’entreprise, en passant par les réseaux sociaux, de la manière de « faire connaissance » à celle de concevoir la politique » (p 15). Ainsi se développe une vie en réseau dans un grand nombre de domaines. « La famille fonctionne de plus en plus souvent comme une sorte d’association à géométrie variable…  De même l’irruption des technologies numériques, des grands réseaux sociaux, des mobiles est impensable sans une configuration sociale assez horizontale et associative…Le fonctionnement à grande échelle de l’internet est impossible sans une grande propension à l’associativité de la société… » (p 16-17). On retrouve cette influence de l’associativité dans l’émergence de la société de la connaissance, de l’économie collaborative, de la démocratie participative.

Nous rejoignons la question de Roger Sue : « La crise n’est-elle pas l’effet du choc d’une contresociété  de plus en plus horizontale face à des institutions et une organisation politique dramatiquement verticales ? ». Cette question implique une analyse de la situation qui correspond à notre expérience.

 

Une nouvelle forme du lien social : L’individu relationnel, source de la société associative.

 

« La forme du lien social gouverne notre relation à l’autre, aux autres et à la société. Aujourd’hui, cette évolution modifie toutes nos relations : le couple, la famille, les amis, le travail, l’entreprise, les loisirs, les institutions et la politique » (p 22). En analysant l’évolution sociale, Roger Sue nous fait entrer au cœur du processus qui génère une culture et une société associatives.

La recherche met en évidence le développement de l’individualisation au cours des derniers siècles et des dernières décennies . Cette évolution a pu être perçue par certains comme synonyme d’individualisme. Et effectivement, il y a eu des accents différents selon les phases et les moments de cette évolution. Mais aujourd’hui, le lien entre individualisation et socialisation est bien marqué.

Selon Roger Sue, on assiste actuellement à « une recomposition du rapport social de l’individu à lui-même, au collectif et à la société, c’est à dire du lien social » (p 23). L’auteur explore ces trois dimensions. Dans le rapport à soi, il y a attente et reconnaissance de la singularité de chacun. Cette singularité est liée à une capacité accrue de réflexion, mais aussi à la diversité des expérience vécues. « Elle tient à la faculté d’endosser des identités multiples ou successives ».  A la suite du livre de Bernard Lahire : « L’Homme pluriel » (2), on perçoit de mieux en mieux « la diversité des identités qui traversent la même personne » ( p 27). Le lien social n’est pas seulement extérieur à l’individu. Il le compose aussi intérieurement, mentalement, psychologiquement comme individu associé » (p 28).

Si nous adhérons à la proposition de Roger Sue de nommer « individu relationnel », le stade actuel de l’individualité, il en résulte la reconnaissance d’une énergie nouvelle : « Face à la décomposition des institutions, la socialisation procède désormais essentiellement du flux relationnel permanent qui émane des individus » (p30). C’est le développement d’une société en réseau. C’est l’émergence d’une société associative.

En France même, on assiste aujourd’hui à un développement constant de la vie associative. « On compte aujourd’hui plus de 1,3 million d’associations en activité, auxquelles s’ajoutent en moyenne 70000 créations chaque année. Ce rythme ne se dément pas. Il faut le comparer avec les 20000 créations des années soixante qui restent pourtant dans la mémoire comme la  grande période d’engagement, de  militantisme, de culture populaire et d’action civique » (p 43). « La France compterait aujourd’hui plus de 20 millions de bénévoles, soit près de 40% de la population, avec une remarquable progression de 12% au cours des années 2010-2016 » (p 42). Et, par ailleurs, les associations sont hautement appréciées par les français (79% de jugements positifs) devançant largement les institutions (p 29).

Cet esprit associatif se répand également dans la sphère politique malgré les résistances qui lui sont opposées. Les exemples sont multiples. Cependant, les oppositions que l’esprit d’association rencontre dans un système social et une sphère politique caractérisés par les séquelles de la hiérarchisation, engendre un malaise profond. Le diagnostic de Roger Sue nous paraît pertinent. « Le pessimisme ambiant fortement marqué en France, tient moins à la dégradation objective des conditions de vie qu’à la montée des subjectivités et des aspirations à l’association. Aspirations confrontées à une réalité socio-institutionnelle figée, décalée, qui paraît  d’autant plus distante. Du choc de l’horizontalité des réseaux de relation face à la verticalité des institutions nait la violence sociale qu’on retourne contre l’individu » (p 50)

 

Quelles perspectives ?

Dans notre recherche où la crise actuelle apparaît comme un effet des mutations en cours (3), où des transformations sociales en profondeur comme l’individualisation s’effectuent dans un processus à long terme (4), où des aspirations nouvelles se manifestent dans de nouveaux genres de vie (5) et à travers un puissant mouvement d’innovation (6), le livre de Roger Sue vient nous apporter un éclairage qui confirme un certain nombre de prises de conscience et contribue à une synthèse dans les convergences qu’il met en évidence. En proposant la notion d’ « individu relationnel », il met en évidence une nouvelle étape, bienvenue, dans le processus d’individualisation. En proposant la vision d’une « société associative, il donne du sens à toutes les innovations sociales qui apparaissent aujourd’hui, et, plus généralement  aux changements en cours qui manifestent un nouvel état d’esprit dans la vie sociale, économique et politique et qui se heurtent aux obstacles et aux oppositions « d’une réalité socio-institutionnelle figée, décalée », encore fortement hiérarchisée. Si cette grille de lecture n’épuise pas toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui comme nos interrogations sur les origines de la puissance actuelle des forces qui montent à l’encontre des sociétés ouvertes, elle nous apporte une vision cohérente d’une société associative et participative dont nous voyons qu’elle répond à des aspirations convergentes.

Elle vient aussi en réponse à une attente qui court à travers les siècles comme un écho au message de l’Evangile tel qu’il a été vécu dans la première Eglise et a cheminé ensuite sous le boisseau dans un contexte religieux longtemps dominé par une civilisation hiérarchique et patriarcale. Il y a une affinité entre une dynamique fondée sur la relation et l’association et une vision qui nous appelle à l’amour et à la paix dans la fraternité.

 

J H

 

(1)            Sue (Roger). La contresociété. Les liens qui libèrent, 2016

(2)            Lahire (Bernard). L’homme pluriel. Les ressorts de l’action. Nathan, 1998

(3)            Les mutations en cours :   « Quel avenir pour le monde et pour la France ?  (Jean-Claude Guillebaud. (Une autre vie est possible) » :  https://vivreetesperer.com/?p=937    « Un chemin de guérison pour le monde et pour l’humanité (La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir) » : https://vivreetesperer.com/?p=1048  «  Comprendre la mutation actuelle du monde et de notre société requiert une vision nouvelle du monde. La conjoncture, selon Jean Staune » : https://vivreetesperer.com/?p=2373   « Un monde en changement accéléré (Thomas Friedman) » : https://vivreetesperer.com/?p=2560

(4)            « L’âge de l’authenticité (Charles Taylor. L’âge séculier ») : http://www.temoins.com/lage-de-lauthenticite/

(5)            « Emergence en France de la société des modes de vie : autonomie, initiative, mobilité… (Jean Viard) » : https://vivreetesperer.com/?p=799  « Penser l’avenir, selon Jean Viard » : https://vivreetesperer.com/?p=799

« Le film : « Demain » :    https://vivreetesperer.com/?p=2  « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405  « Appel à la fraternité » :  https://vivreetesperer.com/?p=2086   « Blablacar. Un nouveau mode de vie » :  https://vivreetesperer.com/?p=1999  « Pour une société collaborative » :   https://vivreetesperer.com/?p=1534  « Une révolution de l’être ensemble » ( « Vive la co-révolution. Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable

Interview de Myriam Bertrand, volontaire du service civique à Initiatives et Changement (septembre 2013- mars 2014)

Myriam Bertrand vient de terminer un master 2 en communication. Pour cette formation, elle a accompli son stage de fin d’étude dans l’association « Colibris », Mouvement pour la Terre et l’Humanisme. Et comme volontaire du service civique, à la rentrée 2013, pour une période de six mois, elle s’engage dans l’association « Initiatives et Changement » pour y travailler dans le domaine de la communication et du financement de l’association. Selon Myriam, ces deux associations ont « en commun de vouloir aider les acteurs du changement de la société ». La démarche de Myriam témoigne aussi d’un projet de vie. Elle répond ici à quelques questions sur sa motivation, sur son parcours, sur ses intentions.

J H

Myriam présentation

Myriam, quel a été ton parcours universitaire ? Pourquoi t‘es –tu engagé dans une formation en communication ? Qu’est-ce qui te semble important dans ce que tu as appris ?

Tout d’abord, merci d’être venu me trouver pour réaliser cette interview. Je suis heureuse de pouvoir montrer que tout comme moi, des jeunes sont motivés pour faire évoluer la société. J’ajouterais que nous sommes tous acteurs du changement, par nos actes, jeunes, adultes, enfants. C’est pourquoi, il m’a de suite semblé important de me poser ces questions : quelle société je souhaite ? Quelles actions puis-je réaliser pour participer à faire évoluer la société ?

Primo : travailler sur moi. Il n’y a ni noir ni blanc que des nuances de gris. Ce qui est important, je pense, c’est savoir s’écouter et avancer à son rythme. La vie, c’est être en constante évolution, avancer pas à pas.

Secondo : exercer un métier pour lequel je pense avoir certaines compétences et l’appliquer pour des projets qui participent à rendre la société plus humaine, plus durable.
Il s’est avéré que ce métier est dans le domaine de la communication. Cette dernière est présente partout. Elle est un fabuleux outil que je souhaite mettre à disposition des acteurs du changement. En plus de mon Master 2 en communication, j’ai une licence Administration Economique et Social, parcours commerce et affaires internationales qui m’a permis de développer mon ouverture au monde et ma polyvalence en étudiant diverses disciplines : droit, économie, sociologie, gestion, informatique, etc.

Le voyage est également un élément important dans ma formation : celle de la vie. Aller à la rencontre des différentes cultures, voir ce qui se passe autre part, pour s’inspirer, s’informer, grandir, apprendre sur soi et les autres.

Quelle est la motivation profonde qui t’a amené à choisir comme première expérience professionnelle, deux associations qui veulent aider « les acteurs du changement de la société » : Colibris, puis

Auparavant, j’ai travaillé au sein de l’entreprise EDF au service communication et à la mission environnement. Le milieu de l’entreprise m’a permis de développer des compétences professionnelles certaines. Seulement, certaines choses manquaient à mon épanouissement, notamment la cohérence et le sens porté à mon travail et de ne pouvoir constater l’impact de mes actions. C’est pourquoi, j’ai choisi de faire mon stage de fin d’étude à Colibris puis de réaliser un service civique à Initiatives et Changement France afin d’agir directement pour une société humaine et durable et aider les acteurs du changement.
Au-delà de mes vœux – subjectifs – de changement de société, il y a ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, dans le contexte que l’on connait. C’est pourquoi, il est intéressant et important pour moi d’expérimenter le travail dans différentes organisations et contextes. Je souhaite être la plus efficace possible et ne pas me fermer sur mes seules convictions. Il est, selon moi, plus productif de travailler avec les personnes que contre

Comment as-tu connu Initiatives et changement ? En quoi cette association correspond-elle à tes aspirations ? Comment envisages-tu ton engagement dans le travail de cette association ?

A dire vrai, je ne connaissais pas Initiatives et Changement. Une personne de mon entourage m’en a parlé. Je suis allée sur leur site internet (http://www.fr.iofc.org/home). Les programmes dans les domaines de l’éducation, du dialogue interculturel et de la paix véhiculent des messages forts et m’ont interpellé. Mais alors, pourquoi n’en avais-je jamais entendu parlé ? J’ai eu envie de contribuer à leur visibilité. J’ai donc pris contact avec la responsable de communication pour prendre un peu plus connaissance de leurs objectifs et de leurs activités. Notre échange m’a plu et convaincu. Et quelque temps plus tard me voilà à travailler avec toute l’équipe !

Le temps passe vite. Mon contrat arrive déjà à son terme. Je remercie toute l’équipe : salariés, bénévoles, administrateurs de leur accueil. Il y a encore beaucoup à faire pour porter les actions réalisées par les 3 programmes ! Je suis heureuse d’avoir pu y participer.

Comment perçois-tu l’évolution de la société aujourd’hui ? A côté des aspects négatifs, quelle sont les mouvements positifs ? Comment penses-tu y participer ?

#Les médias traditionnels nous le répètent sans cesse : nous sommes en « crise ». Je préfère ne pas me pencher sur les aspects « négatifs ». Comme tout le monde, j’écoute les informations, mais je préfère mettre mon énergie à construire du « positif ». Aujourd’hui, de nombreux acteurs participent à rendre la société plus humaine et plus durable. A mettre plus de coopération et moins de compétition ; à partager et réinvestir la valeur ajoutée ; etc. Même si aujourd’hui tout ne peut pas être mis en œuvre, des évolutions sont possibles et se produisent. Le défi : faire évoluer intelligemment et pacifiquement la société en prenant en compte, au mieux, toutes les parties prenantes. Il y a beaucoup à (ré)inventer !
En ce qui me concerne, je souhaite mettre en lien les acteurs du changement pour en retirer le meilleur et être moi-même actrice de changement et, quoi qu’il arrive, poursuivre mes rêves.

#Jeune toi-même, tu connais bien la jeunesse actuelle. Dans cette société, cette jeunesse rencontre des difficultés, mais elle est aussi innovante. Comment perçois-tu cette situation ? Pour toi, quelles sont les tendances positives dans la jeunesse d’aujourd’hui ?

#Il m’est difficile de répondre à cette question. La jeunesse est multiple. Elle évolue dans un contexte que l’on appelle « crise ». On nous dit que les emplois diminuent, que les postes stables sont rares. On peut réagir de différentes manières face à ces problématiques, par rapport à ses moyens et ses convictions. Pour ma part, j’ai choisi d’être en accord avec moi-même et de réaliser des projets novateurs et humains tout en prenant en compte le modèle économique actuelle.

#En annonçant sur facebook ton entrée à « Initiatives et changement », tu as communiqué un message qui est au cœur de cette association : « Changer soi-même pour que le monde change ». Pratiquement, qu’est ce que cela veut dire pour toi ? Comment cela se vit-il ?

#Selon moi, il est important d’être en accord entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Je n’ai pas assez d’une vie pour accomplir tout ce que je dis, mais je compte bien y tendre comme je peux. Et surtout être patiente et tolérante avec moi-même.

#Comment envisages-tu l’avenir ? Quels sont tes souhaits et tes projets ?

#Pleine d’aventures, de voyages, de rencontres, d’imprévus, de remises en question, d’apprentissage, tomber pour mieux me relever : la vie !
J’ai toujours eu en tête de construire mon propre projet, selon mon expérience, mes découvertes, mes compétences, pour apporter une pierre parmi tant d’autres à l’édifice du monde.

#Interview de Myriam Bertrand

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 2

La montée du pessimisme et de la négativité.

Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible

Tout au long de ce livre et plus particulièrement dans certains chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous aide à comprendre les évènements qui ont engendré le pessimisme actuel, à en analyser le contenu et en discerner les contours. Sa réflexion s’appuie sur des connaissances historiques ou sociologiques, mais elle fait appel aussi à son expérience et à son ressenti. Elle s’articule avec les engagements socio-politiques de l’auteur qu’on découvre ainsi au fur et à mesure. On peut diverger sur tel ou tel point, mais son réquisitoire vis-à-vis de la montée d’idées négatives nous  paraît convaincant. Nous reprendrons ici quelques points en guise d’exemples.

Rétrospectivement, la grande guerre 1914-1918 apparaît comme un point d’inflexion majeur dans la conjoncture historique. « A ce moment-là, l’Europe a été « mise au tombeau », comme l’écrivait le philosophe Gershom Sholem, dans son journal intime en date du 1er août 1916. Le reste procède d’un enchaînement irrésistible des causes et des effets » (p 38). Cet immense massacre a engendré un scandale incommensurable. Il a brisé l’optimisme européen et assailli les valeurs qui l’accompagnaient. Et puis, la Grande Guerre a été « la matrice, la cellule souche d’un siècle ensanglanté… A partir de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, événement déclencheur de la boucherie mondiale où s’abîmèrent trois empires, une série d’emboîtements historiques se succédèrent comme autant de répliques du séisme initial… Pendant soixante-quinze années, il y eut un enchaînement de causes et d’effets dont 1914-1918 fut le déclencheur. Au terme symbolique du XXè siècle, toutes les « valeurs » dont se prévalait l’Europe se retrouvèrent corrompues, tordues, salies, déconsidérées » (p 43-44).

On sait quelle a été l’emprise totalitaire du communisme et comment elle s’est finalement effondrée en 1989. Jean-Claude Guillebaud attire notre attention sur un point. Le communisme a compromis certaines valeurs dont il s’était emparé et qu’il avait travesties : l’aspiration égalitaire, un investissement dans le déroulement de l’histoire. Dans le trouble des valeurs, un capitalisme sauvage s’est engouffré. « Tétanisé par sa victoire, sur de lui-même, devenu vulgate à son tour, le capitalisme n’a plus rien de commun avec le capitalisme relativement civilisé de l’après-guerre ». Au « capitalisme rhénan » a succédé « un capitalisme du désastre » selon le mot de l’essayiste Naomi Klein » (p 62). L’auteur justifie ses propos par une analyse de l’idéologie qui a investi le capitalisme. « La dévastation axiologique est facile à comprendre. Si les marchés sont plus « efficients » que la délibération démocratique, alors la volonté qu’expriment les citoyens s’en trouve réévaluée à la baisse. Elle éveille même une méfiance de principe… Selon la nouvelle vulgate néolibérale, l’avenir ne sera plus  « construit » par les citoyens, mais « produit » par le marché… L’économie mondiale devient, dans les faits, un « processus  sans sujet » pour reprendre une expression de Louis Althusser… » (p 63). La grande crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis 2008 a révélé au grand jour la faillite de cette idéologie. Nous voici dans « le manque et l’austérité ». Mais, de fait, le reflux de l’économie date maintenant de plusieurs décennies, des deux chocs pétroliers de 1974 et 1978. « Voilà plus d’une génération que nous sommes entrés dans une société de la précarité, du chômage de masse et de la dureté sociale ». « On peut comprendre que notre représentation du futur ait changé de signe. De positive, elle est devenue négative. Les économistes, avec leur propre langage, parlent d’une « dépréciation de l’avenir ». (p 68).

Tout au long de ce livre, l’auteur nous fait entrer dans un débat intérieur où lui-même se trouve parfois tenté par le découragement. Mais, en même temps, il participe à la dynamique d’un courant associatif dont il nous montre l’étendue et la force. Souvent appelé à intervenir dans des réunions et des débats, il y trouve un encouragement et un réconfort. « Jamais, je dis bien jamais ! je n’ai regretté une seule de ces rencontres. J’en revenais avec la certitude d’avoir reçu, en matière d’idées et d’espérance, bien plus que je n’ai jamais donné » (p 86). Quel contraste avec la prétention de certains cercles parisiens, la superficialité et le cynisme qui transpirent dans certains médias. Il y a, nous dit Jean Claude Guillebaud, un préjugé collectif porté par l’air du temps, ce qu’il appelle une « subpolitique » : réflexes langagiers, minuscules conformismes, clichés médiatiques (p 178). Cette sous-idéologie rampante correspond au fameux « lâcher-prise ». L’expression est plus à la mode que jamais. Elle suggère que nous renoncions une fois pour toute à transformer le monde »… » (p 179).

« La même perte menace la vie culturelle, une perte d’autant plus insidieuse qu’elle se présente comme un assagissement… L’appétence nouvelle pour la philosophie gréco-romaine n’est pas sans rapport avec le désarroi contemporain. Message implicite : on a échoué à « réparer » le monde, occupons-nous de nous-mêmes, donnons la priorité à nos propres désirs… Stoïcisme ou épicurisme sont deux manières de consentir au réel sans volonté de le transformer… Aujourd’hui, la fascination pour la sagesse (passive) et le consentement résigné au « destin » trahissent le creusement d’un vide. Ils signalent un grand désenchantement collectif. J’allais dire « une exténuation très européenne » (p 182-184). Et, en effet, grand voyageur, l’auteur constate que le monde bouge, que « l’Asie entière vit dans le (ou les) projets alors que l’Europe met en ordre ses souvenirs » (p 185).

Jean Hassenforder

 

Suite de :

Quel espoir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.

A suivre :

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3 : Des raisons d’espérer.

 

Apprendre à vivre ensemble


Témoignage sur une vie de quartier.

 

Yves Grelet est retraité. Prêtre marié, il milite activement, avec son épouse, Marie Christine, dans plusieurs associations locales à Bezons, une ville ouvrière de la région parisienne en pleine transformation. Il nous parle de cette ville qui a une tradition associative particulièrement dynamique. « Ville ouvrière depuis l’ère industrielle, Bezons a été très vite marquée par une vie syndicale et politique de gauche, et notamment par une forte implantation du parti communiste. La première fête de l’Humanité  s’est déroulée à Bezons. Aujourd’hui, le parti socialiste est devenu majoritaire ».

Yves Grelet habite dans la cité du Colombier, un quartier où la mixité est importante au niveau de l’habitat (HLM et copropriété), au niveau de la composition sociale (populations de provenances géographiques très diverses, avec une proportion assez forte de familles d’origine maghrébine ou africaine). Dans cette population immigrée, les enfants sont nombreux et le chômage a un impact important chez les jeunes.

 

Grâce à la vie associative, les difficultés provoquées par la situation économique et sociale sont prises au sérieux, nous rapporte Yves Grelet. Le Centre social abrite le siège de plusieurs associations, (des groupes de femmes, de jeunes, ou de loisir). La participation nombreuse aux fêtes témoigne de la volonté et de la joie d’agir pour un vrai « vivre ensemble ». Plusieurs familles s’impliquent.

Récemment, les enfants du quartier ont été invités à réaliser « un germoir » (1). Des animateurs les ont aidés à semer des graines qui permettent d’introduire la vie végétale dans un  environnement urbain en pleine transformation. Les plantes, c’est la vie. Il est bon d’appendre à les respecter…

Il y a aussi toute une activité d’échanges de savoirs. On partage les compétences en cuisine, en couture, en apprentissage des langues…

Une équipe d’« Action sociale », en lien avec la municipalité, accueille et oriente les personnes en difficultés.

 

Yves observe les changements en cours et cherche à en évaluer les effets.

« Aujourd’hui, ici comme ailleurs, le chômage bat son plein. Pourquoi ? Une des raisons me saute aux yeux. Lorsque j’observe les constructions des nouveaux immeubles, je suis émerveillé par l’intelligence des nouveaux procédés de construction, aussi bien au niveau des méthodes que des engins utilisés. Je remarque aussi la grande fierté des techniciens acteurs dans ces réalisations impressionnantes. Mais une question se pose à partir de là : Que sont devenus, que deviendront demain ceux qui autrefois  pouvaient participer de leurs mains au travail du bâtiment ?

A la fin de l’année, un nouveau tramway, le T2 , transportera vers La Défense les personnes qui utilisaient jusqu’ici leurs voitures, mais aussi de nombreux autobus. C’est un grand progrès, car cela va supprimer d’énormes embouteillages et également faciliter l’implantation de nouvelles entreprises. Mais, en même temps, certains des actuels emplois de chauffeurs de bus vont être supprimés…

Au total,  face à la disparition des anciens métiers, comment permettre aux gens sans qualification d’échapper au chômage ?

Dans cet entre-deux difficile entre l’ancien et le nouveau, on observe une évidente détérioration du tissu social.

Par ailleurs, un problème commence à se poser ici avec acuité. Du fait de la démolition récente d’anciens immeubles environnants où ils pratiquaient et de l’augmentation croissante du chômage, certains dealers se sont « rabattus » sur ce quartier, au point qu’il deviendra peut-être nécessaire un jour de l’inscrire comme « zone prioritaire de sécurité ».

 

Dans la ville, avec l’appui de la municipalité, le Mouvement ATD Quart Monde s’est implanté depuis deux ou trois ans. Yves y participe  pour une part. Le but d’ATD se définit par ses initiales: « Agir Tous pour la Dignité ». Joseph Wresinski, son fondateur, précise : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».

Grâce à quelques bénévoles bezonnais d’ATD quart monde une « bibliothèque de rue » a été créée pour les enfants : c’est un temps où se partage le plaisir de lire avec les enfants, un moyen de  faire grandir le goût des livres indispensable à tout apprentissage et découverte, et une occasion offerte à tous, les lecteurs, enfants, animateurs, parents, habitants, de se rencontrer et de se connaître.

Avec ATD Quart Monde également, plusieurs personnes en situation difficile participent  chaque mois à l’Université Populaire. Cette université n’est pas un lieu où on suit un  cours, mais un lieu de « parole », où on s’exprime et où on écoute les autres. Un thème est proposé pour chaque réunion. Ce thème est commun à la dizaine de groupes ATD implantés dans la région parisienne et qui se rencontrent un soir par mois sur Paris pour échanger leurs observations et propositions. Les thèmes sont variés, par exemple : Quelle école pour une société juste –  L’amitié et la fraternité –   Droit de vote politique et refus de la misère –  Quel combat hier, aujourd’hui et demain contre la grande pauvreté –  La vieillesse… Deux accompagnateurs bénévoles assurent le suivi du groupe : Jean-Claude, l’animateur, permet l’expression de chacun. Yves est chargé de prendre note très fidèlement de ce que les gens expriment et de les retranscrire ensuite.

Grâce à ATD Quart Monde, entre autres, on a pu voir plusieurs personnes en difficulté issues du quartier s’insérer concrètement dans la vie collective : elles participent à la lutte contre les logements insalubres et pour l’application réelle, dans le Val d’Oise, de la loi imposant  20 % minimum de logements locatifs sociaux dans les communes de plus de 20.000 habitants. On les a vus aussi dans les manifestations organisées pour la défense de l’hôpital d’Argenteuil (dont les services sont régulièrement menacés de fermeture).

Enfin, Yves Grelet nous parle de ce qui l’anime profondément.

« Je viens d’une famille populaire. Mon père, militant ouvrier, nous a transmis cette fierté de lutter contre les injustices. En Anjou, il a monté autrefois de nombreuses sections syndicales et participé à la création de deux coopératives ».

Pour Yves, le message de l’évangile cité en Matthieu 25 représente une référence majeure. Il la traduit aujourd’hui ainsi : « J’étais sans papiers : vous m’avez aidé à connaître et défendre mes droits d’étranger.  J’étais sans abri : vous avez manifesté pour faire respecter le droit à un logement décent. J’étais malade ou handicapé : vous m’avez visité,  vous avez agi pour me permettre l’accès aux soins et à la vie sociale. J’étais une femme battue : vous m’avez écoutée, accompagnée et défendue. J’étais dans la misère : vous m’avez fait connaître des associations humanistes solidaires. J’étais isolé : vous m’avez ouvert aux droits d’expression, à la culture, aux transports… J’avais faim et soif de justice, mais peur de m’engager : vous m’avez encouragé à oser ».

Yves reconnaît l’influence sur lui d’un grand spirituel, Maurice Zündel qui a écrit : «  On comprend dès lors pourquoi Jésus pousse l’identification jusqu’au Jugement dernier. « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais en prison, j’étais en haillon, j’étais informe. C’était moi en chacun, c’était moi ! Ce que vous avez fait à chacun, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25. 35-40). Et voilà  le Jugement dernier : votre attitude envers l’homme, c’est elle qui décide de tout ».

En écho, Yves ajoute : « Là est la vraie fidélité à l’essentiel : le « sacrement du frère », n’est ce pas ? ».

 

Contribution de Yves Grelet

 

(1) Fin juin 2012, le chantier du « germoir » a été mis en oeuvre à Bezons par une association engagée dans une recherche active en agriculture urbaine: « Les Saprophytes », « collectif poético-urbain »