Un mouvement émergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare

communauté leader dans le champ de l’économie collaborative

En considérant le monde d’aujourd’hui, les préoccupations ne manquent pas. Les menaces abondent. Et, en France même, on  perçoit crainte et désarroi. Les récentes élections européennes ont manifesté une poussée de crispations identitaires. Mais l’orientation de notre réflexion dépend beaucoup de notre regard. Si nous sommes inspirés par une espérance qui va au delà des turbulences et des orages marquant notre immédiat, alors nous pourrons être attentifs aux émergences qui préparent un avenir meilleur. Nous prêterons attention aux tendances positives. Le développement de l’économie collaborative en France paraît ainsi exprimer un changement prometteur dans les représentations et les comportements. À cet égard, l’apparition, puis la croissance rapide de la communauté « OuiShare » est un phénomène particulièrement significatif.

En 2012, Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot publient un livre qui, à partir de l’apparition de nouveaux comportements, exprime la vision d’une société collaborative : « Vive la Co-révolution. Pour une société collaborative » (1). Ils mettent en évidence l’éclosion de nombreuses entreprises qui développent des pratiques de partage. Cette révolution tranquille traduit la montée d’une manière nouvelle d’envisager la vie. Ainsi, avons- nous présenté ce livre dans ce blog sous le titre : « Une révolution de l’être ensemble » (2), expression elle-même empruntée à cet ouvrage innovant et visionnaire. En 2013, Anne-Sophie Novel publie un second livre : « Le vie share. Mode d’emploi » (3). Elle définit son livre comme « un espace d’exploration et de discussions sur les alternatives qui s’offrent à nous pour vivre autrement et s’adapter aux crises ». « Cet ouvrage prolonge et complète sous un angle pratique le premier livre : « Vive la Co-révolution ». Et elle note que ce travail est soutenu par « OuiShare », la communauté internationale de l’économie collaborative. Effectivement, le groupe « OuiShare », créé en janvier 2012, a grandi rapidement. Anne-Sophie Novel continue à analyser et à commenter le développement de l’économie collaborative sur un blog qui s’inscrit dans l’espace du journal « Le Monde » : « Même pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » (4).

Ouishare : une communauté émergente qui prend forme

Oui au partage. Oui, nous partageons. Cette affirmation se traduit sous le terme franco-anglais : Ouishare. À l’automne 2011, un petit groupe se réunit chaque mois. Ce sont « des amis qui se sont rencontrés à travers Antonin qui a lancé le premier blog français sur l’économie collaborative ». Et, en janvier 2012, la communauté « OuiShare » est créé à Paris. La croissance va être extrêmement rapide, puisqu’en deux ans, OuiShare est devenue « un leader international dans le champ de l’économie collaborative qui a rapidement évolué, passant d’une poignée de personnes enthousiastes, à un mouvement global dans 25 pays en Europe, Amérique Latine et Moyen Orient avec un réseau des 50 experts connecteurs engagés avec 2000 membres et contributeurs à travers le monde » (5).

         Comment la communauté OuiShare se présente-t-elle aujourd’hui ?

         « OuiShare a pour mission d’apporter aux citoyens, aux institutions publiques et aux entreprises la capacité de développer une économie collaborative fondée sur le partage, la collaboration et l’ouverture en s’appuyant sur des communautés et des réseaux horizontaux. Nous croyons que cette économie peut résoudre une bonne part des défis complexes auxquels le monde fait face et permettre à chacun d’accéder aux ressources et aux opportunités dont il a besoin pour vivre.

         Comme communauté globale, non tournée vers la recherche du profit, les activités de OuiShare consistent à construire une communauté, produire de la connaissance, discuter de projets en rapport avec la communauté et avec l’économie collaborative, offrir un soutien aux individus et aux organisations à travers une formation et des services professionnels ».

         OuiShare trouve son identité dans un ensemble de valeurs qui inspirent comportements et orientations.

« Voici les principes qui nous unissent. Ces principes ne sont pas apparus en un jour, mais ils sont le produit d’un long processus qui a commencé au second  sommet de OuiShare à Rome en novembre 2012. Cette liste exprime un mouvement et elle continuera à évoluer. Ces valeurs se déclinent autour des termes suivants :

° Transparence

° Ouverture : organisation non hiérarchique à laquelle chacun peut se joindre et participer. Un processus qui est fondé sur le gouvernement des pairs

° Rencontre avec les gens de la vie réelle : l’internet ne peut remplacer le contact avec la vie réelle

° Inventivité « Permanent Beta » : Ouishare est une expérience avec une approche de start up. Avec curiosité et ouverture, nous nous efforçons d’entreprendre continuellement des choses nouvelles

° Inclusion : Ouishare bénéficie de contributions très variées

° Indépendance : refus de toute dépendance ; pas de partenariats exclusifs

° Action : agir sans attendre

° Jeu : le travail ne doit pas être ennuyeux

° Feedback : contribue à la participation

° Impact : accélérer le mouvement vers une économie plus participative

Cette liste exprime bien un accent sur le partage, l’ouverture et la créativité.

On peut observer dans OuiShare une dynamique d’association et de participation. Cette dynamique est facilitée par l’engagement  de membres plus engagés dans un travail d’animation et de mise en contact : une cinquantaine de « connecteurs ». Le terme : connection est lui-même significatif. Cette communauté se développe dans une connection en réseau. Mais le processus ne repose pas seulement sur internet. Les organisateurs insistent sur l’importance des rencontres et ils organisent des évènements qui permettent aux membres de faire connaissance et de partager leurs expériences et leurs projets.

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Fête 2014 de OuiShare : l’âge des communautés

Et c’est ainsi que, du 5 au 7 mai 2014, à Paris, au Cabaret Sauvage, a eu lieu la fête 2014 de OuiShare : « L’âge des communautés ». Venant de 50 pays, 1000 participants s’y sont retrouvés. Un moment très dense avec 120 sessions et 140 contributeurs, mais aussi des espaces où la convivialité et la créativité ont pu s’exprimer en témoignant de la vitalité d’une jeune génération (6). On pourra accéder à cette réflexion commune à travers une remarquable politique de communication associant différents apports : vidéos, e books, mais aussi graphismes sur des registres différents où l’expression personnelle est bien présente (7). OuiShare publie également un magazine. La créativité se déploie.

Dans la reconfiguration actuelle du rapport entre individus et entités sociales, on assiste aujourd’hui à la montée d’aspirations nouvelles comme un désir de convivialité et une recherche de sens (8). Le développement de la communauté OuiShare témoigne d’un changement en profondeur dans les représentations et les comportements. Cette émergence se réalise à travers la convergence d’acteurs agissant dans des champs différents. OuiShare est une communauté connectée qui favorise et suscite la créativité et l’esprit d’initiative chez les participants. On pourra interpréter ce phénomène sur différents registres (9). Et le processus à l’œuvre dans cette communauté peut faire école dans d’autres champs. Dans le climat français actuel, où morosité et manque de confiance se font sentir, l’émergence de OuiShare est une bonne nouvelle.

J H

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(1)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (Manifestô)

(2)            Sur ce blog : Présentation du livre : Vive la Co-révolution » « Une révolution de « l’être ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Egalement sur ce blog, une interview de Pippa Soundy à propos du livre : « Vive la Co-révolution » : « Pour une société collaborative. Un avenir pour l’humanité dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

(3)            Novel (Anne-Sophie). La vie share. Mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs. Alternatives, 2013 (Manifestô)

(4)            Blog de Anne-Sophie Novel (M blog) : « Même pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » : http://alternatives.blog.lemonde.fr/

(5)            Site de Ouishare : http://ouishare.net/en

(6)            Présentation du festival 2014 de OuiShare dans sa dynamique et sa diversité sur le site : We demain (Une revue. Un site. Une communauté) : http://www.wedemain.fr/La-generation-co-prepare-l-avenir-au-OuiShare-Fest_a512.html

La revue : We Demain promeut l’économie collaborative, les recherches innovantes et les causes écologiques.

(7)            Une politique de communication pour transmettre tout l’apport du festival : http://magazine.ouishare.net/2014/05/ouishare-fest-collaborative-economy/

(8)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/parcourir-le-site/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html

(9)            Sur ce blog, nous trouvons inspiration dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann. Dans le livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988), Moltmann reconnaît l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans la création, dans le monde et dans l’humanité. Il écrit : « Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit divin… L’« essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber) (p 25). C’est dire l’importance de tout mouvement qui tend vers la collaboration et le partage.

Une nouvelle manière d’être et de connaître / 2

Vers une société participative

« Petite Poucette » de Michel Serres.

Puisqu’à travers internet, le savoir est en voie de devenir accessible à tous, les conditions de l’enseignement s’en trouvent changées.  Jusqu’ici, « un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l’écrit… Sa chaire faisait entendre  ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait du silence. Il ne l’obtient plus… » (p 35). Et, ici, Michel Serres, lui même professeur dans l’enseignement supérieur, parle d’expérience. Aujourd’hui, « le bavardage vient d’atteindre le supérieur où les amphis débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire d’un brouhaha permanent… » ( p 35). Petite Poucette ne lit, ni ne désire ouir l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduite au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères, produisent en chœur désormais un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture… Pourquoi bavarde-t-elle ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà… En entier. A disposition.  Sous la main.. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente » (p 36).

Et de fait, il y ainsi un changement majeur dans le rapport entre l’offre et la demande.

« Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, celle-ci n’eut jamais le souci d’écouter l’avis ou les choix de la demande… Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d’un autre savoir… L’offre sans demande est morte ce matin. L’offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l’école, je vais dire que cela le devient de la politique.  «  (p 37).

Michel Serres nous invite à entendre une voix qui monte, la voix d’une multitude qui est en train de s’émanciper des formatages et des conduites imposées et cherche à s’exprimer. Dans le passé, « Tout le monde semblait croire que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs, qu’en amont, l’offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout… Peut-être, cette ère a-t-elle eu lieu. Elle se termine sous nos yeux, au travail, à l’hôpital, en route, en groupe, sur la place publique, partout… Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix » (p 52)

Michel Serres met en évidence les faits précurseurs. Il nous montre les faits significatifs. Il nous invite à voir au delà des pesanteurs qui nous affectent encore. Effectivement, l’expression est en train de se développer à toute allure. « Tout le monde veut parler. Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase. (p 59).

Il y a quelque part dans l’approche de Michel Serres, une démarche prophétique. Il nous montre les voies d’une émergence et il sait s’indigner face aux cynismes qui se réfèrent à un passé mortifère. « Petite Poucette apostrophe ses pères : Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me l’enseigna ? Vous-même avez-vous su faire équipe ?… Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami »… Mais n’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? » (p 60). Et de rappeler les appartenances sanguinaires qui ont prévalu dans le passé : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie.. A ces appartenances nommées par des virtualités abstraites : armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille, marché, dont les livres d’histoire chantent la gloire sanglante, je préfère notre virtuel immanent qui ne demande la mort de personnes » (p 61-62).

Oui, une société nouvelle est en train de naître. Face à de grandes machines publiques ou privées qui imposent leur puissance géante au nom d’une prétendue compétence, les « Petits Poucets », les gens d’aujourd’hui ont désormais accès à une information qui leur permet d’en savoir plus ou autant que les puissants. « Le partage symétrise l’enseignement, les soins, le travail…Le « collectif » laisse la place au « connectif »… (p 65). Mais en même temps, Michel Serres dénonce les forces qui s’opposent à cette évolution, et notamment, les travers de la société du spectacle. N’y a-t-il pas là une forme d’intoxication collective qui distrait et endort les esprits à travers un étalage de superficiel, de clinquant, de spectaculaire, et parfois aussi une excitation des pulsions les plus négatives.

« Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude anonyme sur les élites dirigeants bien identifiées, du savoir discuté sur les doctrines enseignées, d’une société immatérielle, librement connectée sur la société du spectacle à sens unique » (couverture)

J.H

Suite de la précédente contribution : La grande mutation dans la transmission du savoir. Suite dans deux prochaine contributions : Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Regard nouveau pour un monde nouveau.