Une révolution en éducation

L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation.

Désir d’apprendre, désir de connaître, désir de comprendre, désir de participer à un univers de sens qui nous dépasse. A travers l’histoire, on peut suivre le mouvement qui en est résulté.

Et, dans les derniers siècles, le désir s’est investi dans le développement de l’école qui a permis l’accès au savoir du plus grand nombre. Et, dans la vie des élèves, cet attrait s’est traduit dans une mobilisation de l’être. Il est des pays où cette mobilisation est particulièrement visible comme en témoigne le film : « Sur le chemin de l’école » (1). Mais, dans cette histoire, il y a deux faces bien différentes. En effet, si l’école, et plus largement l’institution scolaire dans ses différentes étapes, ont suscité un élan, on peut la considérer  également sous un autre jour. En effet, aujourd’hui, elle apparaît également comme un système imposé en fonction d’un double héritage : la hiérarchisation de la société traditionnelle où le pouvoir s’exerce d’en haut à travers de multiples relais ; l’organisation qui a longtemps prévalu dans la société industrielle en terme de production de masse et de normes peu propices à la prise en compte des spécificités industrielles.

Des évolutions et leurs limites.

Ainsi, lorsque le développement progressif de l’autonomie dans les genres de vie a rejoint un idéal de respect de l’enfant et de prise en compte de l’ensemble de son potentiel longtemps refoulé par la culture dominante, alors le système scolaire dans sa forme la plus commune a été de plus en plus interpellé et contesté. On peut retrouver ce mouvement dans le cadre plus général d’une évolution sociale où autonomie et désir de participation sont devenus des réalités majeures. Ce mouvement est international, mais il est plus ou moins précoce et vigoureux selon les pays.

En France, il s’est manifesté dans l’enseignement à travers des pionniers qui sont à l’origine d’expériences novatrices dans ce qu’on a appelé le mouvement de l’Education Nouvelle. De grands noms marquent cette inspiration : Maria Montessori, Decroly, Freinet, Cousinet (2). Dans la seconde moitié du XXè siècle, l’esprit de réforme se répand en se manifestant plus particulièrement dans certaines périodes. Ainsi, juste après la guerre, des « classes nouvelles » apparaissent dans l’enseignement secondaires. L’élève est respecté dans son potentiel et dans son cheminement. Et le travail d’équipe est encouragé. Cependant, la remise en cause du système prend toute son ampleur dans les décennies 60 et 70 dans la foulée de la transformation de notre société qui a été décrite par le sociologue  Henri Mendras dans les termes d’une « Seconde Révolution Française » (3). Il y a à la fois l’accès des milieux  populaires à la scolarisation dans l’enseignement secondaire et le développement de l’autonomie dans les comportements sociaux et culturels qui apparaît dans la jeunesse dès les années 60. Les cadres rigides du système scolaire apparaissent comme une barrière et sont remis en cause. A cet égard, le Colloque d’Amiens est emblématique dans son orientation réformatrice. Quelques mois plus tard, la révolte étudiante en mai 1968 ébranle les institutions, ce qui induit des transformations, mais aussi des résistances en retour. La décennie 70 sera propice aux innovations pédagogiques. Mais la pesanteur du système hiérarchisé et massifié impose des limites.

Dans notre parcours professionnel inspiré par le modèle de la bibliothèque publique (4) qui permet l’accès au savoir à travers de libres cheminements, et plus généralement par le développement des centres documentaires qui favorisent l’autonomie et l’initiative des apprenants (5), nous avons milité pour un changement des processus pédagogiques dans des établissements, eux-mêmes appelés à se départir d’une organisation issue du XIXè siècle (6). Et par ailleurs, dans le même mouvement, l’enseignement des plus jeunes est considéré comme une étape dans une éducation permanente, un processus d’apprentissage tout au long de la vie (« Life-long learning »).

Un constat d’immobilisme.

Dans un regard rétrospectif, nous percevons quelques effets de la mouvance militante et de la volonté réformatrice. Mais nous voyons aussi la puissance de conservation dans les structures et les comportements. La pertinence du système scolaire par rapport aux aspirations et aux besoins ne s’est pas accrue. Et aujourd’hui, nous pouvons constater avec Yann Algan la pesanteur d’un système qui handicape l’ensemble de la société française. Dans un livre récent : « La fabrique de la défiance » (7), Yann Algan, professeur d’économie à Sciences Po, dresse un constat accablant sur la manière dont le système scolaire français induit un manque de confiance chez les élèves.

 Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien, à l’école que les enfants des autre pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire situation  de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, dans les pays méditerranéens ou dans les pays anglo-saxons (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition. Et d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Pisa et Tims) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ».

 Il y a bien aujourd’hui des enseignants et des chercheurs qui militent pour un changement pédagogique et enseignent autrement. (8) On voit aujourd’hui la mise en œuvre d’une réforme des rythmes scolaires. Les signes d’une prise de conscience apparaissent dans les sphères dirigeantes de l’Education Nationale. Il reste que la recherche de Yann Algan et de ses collègues, à partir de données qui ne sont pas anciennes, montrent l’ampleur du chemin à parcourir. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de progrès lents et ponctuels. Si la situation actuelle de l’enseignement français est inacceptable, la mutation actuelle des moyens de communication va la rendre insupportable.

Vers un nouveau paradigme d’éducation.

Aujourd’hui, le monde change à vive allure. Ce changement porte une révolution dans le domaine de l’éducation. Si la France est dans une situation particulièrement difficile, une prise de conscience est également en train d’advenir à l’échelle internationale. Dans le domaine de l’enseignement, nous sommes tous appelés à changer de paradigme. Et, s’il nous semble que les pays anglophones, sur certains points, sont davantage en phase avec une évolution qui s’esquisse depuis des décennies, on peut entendre avec d’autant plus d’attention, la voix d’une personnalité britannique, résidant aujourd’hui en Californie, Sir Kenneth Robinson, lorsqu’il dénonce les effets uniformisateurs et réducteurs du système scolaire. Ken Robinson est un auteur et conférencier anglais, expert dans l’éducation artistique, longtemps professeur dans cette discipline à l’université de Warwick (1986-2001). Il est célèbre pour ses allocutions sur le thème de l’éducation, prononcées avec beaucoup de conviction et d’humour dans le cadre du centre de conférences TED (Technology, Entertainment and Design), et puissamment diffusées sur le web. En 2010, dans un exposé s’appuyant sur un dessin animé réalisé à son intention  par la « Royal Society for the encouragement of art… », il réclame un changement de paradigme en éducation (9). En mai 2013, cette vidéo diffusée sur le web a été visionnée par plus de 10 millions d’internautes.

« L’école », nous dit-il, « nous introduit dans un voie standardisée et annihile la créativité que chaque enfant porte en lui à la naissance ». Déjà, dans les années 60, le chercheur américain, Torrance, avait mis en évidence le concept de créativité. Nous avions relayé ses découvertes en France. Ken Robinson se réfère à une recherche plus récente concernant la « pensée divergente », cette aptitude à formuler un grand nombre de réponses à une même question,  une imagination  créatrice qui permet de résoudre de nombreux problèmes. A partir de la passation d’un test, on a constaté que l’expression de cette faculté est quasi universellement répandue chez les enfants fréquentant des classes maternelles. Mais elle baisse ensuite de plus en plus avec la montée en âge. Le taux de réussite passe ainsi de 98% à 5 ans  à 30% à 10 ans et à 10% à 14 ans. Ken Robinson attribue cet effondrement à l’influence d’une école qui exclut ou limite la coopération et une recherche ouverte.

Ken Robinson nous montre comment le système scolaire actuel est le produit d’une autre époque où un intellectualisme individualiste issu du XVIIIè siècle s’est combiné à une organisation industrielle associant uniformisation, standardisation et division du travail. Aujourd’hui, nous avons besoin de passer d’un « processus mécanique » à un « processus organique ». Les nouveaux modes de communication changent la donne et permettent le changement.

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 La révolution portée par internet.

Effectivement, comme Michel Serres nous l’a remarquablement expliqué dans son livre : « Petite Poucette » (10), à travers l’expansion d’internet, nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle manière de communiquer et d’apprendre.

 A cet égard, une vidéo réalisé par un entrepreneur d’avant-garde, Oussama Ammar, à travers un titre humoristique : « Les barbares attaquent l’éducation » (11) met en lumière la révolution qui est en train de se réaliser dans le domaine de l’enseignement. Lui aussi parle en terme de changement de paradigme et il le fait à partir des innovations qui se développent aujourd’hui à toute allure et bouleversent les conditions de l’enseignement. Oussama Ammar a fondé plusieurs entreprises, codirige « The family », un organisme qui se consacre à l’accélération de la progression des start up, enseigne à Sciences-Po Paris et à l’Université Lyon II. Franco-libanais d’origine, il vit aujourd’hui à l’échelle internationale dans des villes comme San Francisco, Hong Kong, Sao Paulo et Paris.

On peut débattre à propos de quelques unes de ses affirmations préliminaires. Mais ses critiques du modèle actuel rejoignant celles de Ken Robinson, à partir cette fois d’une analyse du fossé qui se creuse entre l’enseignement traditionnel et la nouvelle manière de communiquer. Pour nos parents et grands parents, l’école était « un endroit formidable », mais aujourd’hui, « des millions d’enfants s’y sentent aliénés ». Et il cite des données impressionnantes de l’enquête Pisa, dont nous avons déjà entendu parler par Yann Algan, qui montrent que l’intérêt des « bons élèves » pour l’école est aujourd’hui, depuis cinq ans, en voie de s’effondrer. Et, dans ce cas, ce n’est pas une exception française. Le même phénomène se produit dans de nombreux pays, de l’Allemagne à la Corée. Oussama Ammar associe diagnostic et témoignage. Ainsi, il a connu la période de transition où la prédominance des nouveaux moyens de communication ne s’était pas encore imposée. Des professeurs critiquaient Wikipedia sans se rendre compte de la puissance du processus de production en cours puisque, dans sa version anglophone, il y avait déjà vingt-cinq millions d’articles en ligne. Oussama converge avec Ken Robinson sur la nécessité d’encourager la créativité.

Cependant l’apport de cette vidéo ne se limite pas à une analyse de la situation. Elle nous rapporte le dynamisme impressionnant des innovations dans un champ où l’apprentissage et l’enseignement (« learning and teaching »), se réalisent maintenant sur le web. Les réalisations se multiplient à vive allure dans une véritable épopée qui est aussi une révolution pédagogique.

 Oussama nous parle des Mooc (« Massive Open Online Course »), ces cours mis en ligne par de grandes universités, et en particulier par de prestigieuses universités américaines de Harvard et du MIT à Stanford et Princeton.  En quelques années, le public de ces cours s’est étendu à travers le monde entier et  il comprendrait aujourd’hui 17 millions d’utilisateurs actifs dont le tiers aurait moins de 18 ans. On pourra sur le web visiter les différents sites qui diffusent ces cours (vidéos et exercices) et assurent la certification de ceux qui les ont suivi avec succès. Le phénomène est issu d’initiatives qui se sont développées à partir de grandes universités américaines. Ainsi Edx communique à partir d’Harvard, du MIT et de Berkeley (12). Coursera s’appuie sur Stanford, Princeton et un réseau d’universités qui commence aujourd’hui à s’étendre au delà des Etats-Unis en incluant quelques institutions européennes, ainsi, dans le monde francophone l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et, en France, l’Ecole Polytechnique, l’Ecole Centrale et l’Ecole Normale Supérieure.  Fondée il y a deux ans, Coursera s’est développé avec une rapidité fulgurante. Aujourd’hui, elle dessert 5 300 000 inscrits et diffuse 535 cours réalisés par 107 universités et grandes écoles partenaires (13).

Une autre institution remarquable consiste dans la diffusion sur le web de vidéos communiquant de courts exposés réalisés par des penseurs originaux. Après une période ponctuée par de grandes conférences aux Etats-Unis, le forum TED (Technology, Entertainment and Design) a commencé, à partir de 2007, à diffuser sur le web de courts exposés sur une vaste gamme de sujets dans la recherche et la pratique en science et en culture (14). « Nous croyons passionnément dans le pouvoir des idées pour changer les attitudes, les vies et finalement le monde. Aussi nous développons une « clearinghouse » qui offre libre savoir et inspiration, en provenance des penseurs mondiaux les plus inspirés et aussi une communauté d’esprits curieux (« curious souls ») qui s’impliquent dans les idées et aussi les uns avec les autres ». A partir de 2009, un programme de traduction à partir de l’anglais a commencé à se développer. En juillet 2012, 1300 exposés avaient été mis en ligne et de 5 à 7 nouveaux entretiens paraissaient chaque semaine. En janvier 2007, l’ensemble des vidéos avait été visionné, au total 50 millions de fois, en janvier 2011, 500 millions de fois, en novembre 2012, 1 milliard de fois.

  Comment ne pas reconnaître l’importance d’un tel phénomène ? Oussama Ammar nous décrit un contexte en pleine effervescence. Des enseignants doués s’installent sur le web et se trouvent à même d’attirer rapidement de vastes audiences (Ainsi,Salman Khan, dont les milliers de productions commencent à être traduites en français par la Khan academy (bibliothèques sans frontières). Ainsi, nous dit Oussama, en citant des exemples, « n’importe qui peut enseigner ».

Parallèlement, on observe de brillantes performances chez certains enfants qui, en tirant parti des connaissances désormais accessibles réalisent des dispositifs complexes. C’est, par exemple, Didier Focus, un enfant nigérian, qui, à quatorze ans, permet à son village d’accéder à l’électricité et gagne de surcroit un prix du MIT.

A travers l’ordinateur, une éducation informelle se développe dans les pays pauvres. Ainsi, en Inde, après avoir placé un  ordinateur en libre accès dans un bidonville, on constate quelques mois plus tard, que son usage a suscité de nouveaux savoirs comme par exemple l’apprentissage de l’anglais ou de la programmation. Les jeux permettent également le développement de nouvelles compétences.

Une révolution en éducation.

Dans « Petite Poucette » (10), Michel Serres, lui-même professeur dans l’enseignement supérieur, évoque brillamment le changement qu’internet a introduit dans le comportement des étudiants. Les mentalités ont changé. « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà partout sur la toile, disponible, objectivé … Le transmettre à tous ? Voilà, c’est fait ! » (p 19). Cette mutation interpelle les rapports sociaux traditionnels. Mais elle entraîne également un changement profond dans les usages du savoir. « Libéré des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes musicales de sa voix » (p 52). Le « collectif » laisse sa place au « connectif » (p 65). Le nouveau mode d’accès à la connaissance s’accompagne d’une transformation de notre maniement de celle-ci. « Entre nos mains, la boite ordi contient et fait fonctionner ce que nous appelions jadis nos facultés. Que reste-t-il ? L’intuition novatrice et vivace. Tombé dans la boite, l’apprentissage laisse la joie d’inventer » (p 28).

Ainsi, si les pratiques traditionnelles résistent encore, elles ont perdu leur emprise. Pendant des décennies, le changement en éducation a dépendu de la mise en oeuvre d’un idéal, d’une compréhension, et puis, dans la seconde moitié du XXè siècle, de la montée progressive d’aspirations nouvelles fondées sur l’apparition et le développement d’un nouveau genre de vie. Nous avons participé aux actions engagées pour modifier le cours de l’enseignement et de l’éducation. Mais l’innovation se heurtait aux pesanteurs des structures et des comportements. Et les données toutes récentes rassemblées par Yann Algan dans son livre : « La fabrique de la défiance »  montrent combien l’immobilisme a longtemps prévalu. Et bien, aujourd’hui, le développement d’internet et des nouveaux modes de communication a changé la donne. Quelque soient les obstacles systémiques ou les résistances culturelles, la transformation a commencé et le mouvement est irréversible. Cette évolution est internationale.Nous sommes engagés dans une révolution de l’éducation. Un nouveau paradigme est en voie de se manifester. Nous nous dirigeons vers une offre permettant la personnalisation de l’éducation et son accompagnement tout au long de la vie. La transmission des savoirs par internet est une composante essentielle de cette évolution qui implique par ailleurs le développement de la vie relationnelle et de la convivialité. Et, certes, là comme ailleurs, le changement est dans durée, mais nous savons quel est le sens de cette transformation.

En écoutant Oussama Ammar nous décrire les innovations en cours dans le sillage d’internet, nous éprouvions une forme d’émerveillement en prenant conscience de la puissance du mouvement en cours et de l’horizon qui s’ouvre aujourd’hui à nous. Dans ce temps de crise où les périls abondent, nous voyons là une ouverture parmi d’autres. Ce phénomène nous apparaît comme une émergence. Nous entendons à ce sujet la parole du théologien Jürgen Moltmann lorsqu’il écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est la collaboration et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (15). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action.

Aujourd’hui, un avenir se construit sous nos yeux.

J H

(1)            Sur le chemin de l’école : Film documentaire de Pascal Plisson. Voir la présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(2)            On trouvera une abondante documentation et réflexion sur les mouvements d’éducation nouvelle et les innovations mises en oeuvre dans les décennies 60 et 70 dans la revue Education et Développement parue de 1964 à 1980. Voir le livre : Une revue en perspective : Education et développement. Textes présenté par Louis Raillon et Jean Hassenforder. L’Harmattan, 1998 (Série références).

(3)            Mendras (Henri). La Seconde Révolution Française 1965-1984. Paris, Gallimard, 1988 (actuellement en poche : folio).

(4)            Hassenforder (Jean). Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXè siècle (1850-1914). Paris, Cercle de la Librairie, 1967. Edition numérique en ligne : http://barthes.enssib.fr/travaux/Caraco-Hassenforder-dvpt-compare-bib-publiques.pdf

(5)            Hassenforder (Jean), Lefort (Geneviève). Une nouvelle manière d’enseigner. Pédagogie et documentation. Les cahiers de l’enfance, 1977 (Collection éducation et développement).

(6)            Hassenforder (Jean). L’innovation dans l’enseignement. Un avenir qui se construit sous nos yeux. Casterman, 1972 (poche).

(7)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Voir une mise en perspective sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(8)            Cercle de recherche et d’action pédagogique : Un mouvement d’enseignants qui œuvre pour une éducation nouvelle et un changement dans l’école et la société depuis plusieurs décennies notamment à travers la publication d’une revue : Les Cahiers pédagogiques. Site : http://www.cahiers-pedagogiques.com/ Sur ce blog, la recherche pédagogique de Britt-Mari Barth : « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(9)            Site de Ken Robinson en français : http://www.kenrobinson.fr/ On trouve sur ce site des liens avec les différentes vidéos des interventions de Ken  Robinson, notamment celle de 2010 sur le paradigme en éducation présentant un commentaire interactif  avec une illustration (RSA animate) et un sous-titrage en français. http://www.kenrobinson.fr/voir/ Cette vidéo est présentée par ailleurs en français : Créa. Apprendre la vie : Du paradigme de l’éducation (en regrettant cependant l’absence de la mention d’origine) : http://www.youtube.com/watch?v=e1LRrVYb8IE

(10)      Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes). Mise en perspective sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître » : https://vivreetesperer.com/?p=820

(11)      The family. Oussama Ammar. « Les barbares attaquent l’éducation » : http://www.youtube.com/watch?v=FoOAEIoJrjc

(12)      Edx. Take great courses of the world’s best universities. https://www.edx.org/

(13)      Coursera. Education for everyone : http://www.youtube.com/user/courses

(14)      TED : http://www.ted.com/ Histoire et situation actuelle de TED sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)

(15)      Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 (citation p 25). Voir sur ce blog : « Dieu suscite la communion » : https://vivreetesperer.com/?p=564

Sur le chemin de l’école

Des enfants en marche : beauté et grandeur d’âme.

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         « Sur le chemin de l’école » (1) : un film qui nous parle en termes épiques de la démarche d’enfants du « tiers monde » animés par le désir d’apprendre et bravanttoutes les difficultés pour aller à l’école.

         Le film nous est ainsi présenté. « Ces enfants vivent aux quatre coins du globe, mais partagent la même soif d’apprendre. Ils ont compris que seule l’instruction leur permettra d’améliorer leur vie, et c’est pour cela que chaque jour, dans des paysages incroyables, ils se lancent dans un périple à haut risque qui les conduira vers le savoir. Jackson, 11 ans, vit au Kenya et parcourt, matin et soir, quinze kilomètres avec sa petite sœur au milieu des savanes et des animaux sauvages… Zahira, 12 ans, habite dans les montagnes escarpées de l’Atlas marocain, et c’est une journée de marche exténuante qui l’attend pour rejoindre son internat avec ses deux amies… Samuel, 13 ans, vit en Inde et, chaque jour, les quatre kilomètres qu’il doit accomplir sont une épreuve parce qu’il n’a pas l’usage de ses jambes. Ses deux jeunes frères poussent pendant plus d’une heure son fauteuil roulant bricolé jusqu’à l’école… C’est sur un cheval que Carlos, 11 ans, traverse les plaines de Patagonie sur plus de dix-huit kilomètres. Emmenant sa petite sœur avec lui, il accomplit cet exploit deux fois par jour, quelque soit le temps… ».

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         Geneviève Patte est une pionnière des bibliothèques enfantines  Elle est témoin du désir d’apprendre, de connaître qui est présent en chaque enfant et qui se manifeste dans la lecture. Là où des adultes suscitent un environnement favorable, alors une dynamique apparaît. Une dynamique à respecter : « Laissez les lire » (2). On comprend que Geneviève puisse nous parler avec enthousiasme du film « Sur le chemin  de l’école », car, dans un contexte différent, et dans des conditions plus difficiles, ce film exprime la dynamique qui se manifeste chez des enfants désireux d’apprendre et de connaître.

         « J’avais entendu parler de ce film par une amie, elle-même illustratrice de livres pour enfants ». Geneviève partage avec cette amie une attention pour l’enfant : ne pas lui imposer nos propres intérêts, mais être à son écoute dans une relation réciproque. Cette amie lui avait dit : « Va voir ce film. Tu verras comment ces enfants ont un désir de connaître qui leur fait franchir des montagnes. Au sens propre… ».

         Geneviève a admiré ce dynamisme. Elle a ressenti dans ce film la dimension du temps et de l’espace. « Ce film fait très bien sentir le temps. Le rythme du film fait ressortir la durée des déplacements. Aller à l’école, coûte que coûte… ».

         Il y a là un grand courage. « On brave toutes les difficultés. Les parents acceptent de se séparer de leurs enfants pour qu’ils aillent à l’école avec les dangers que cela suppose. Ainsi un père met en garde ses enfants : comment se comporter quand on rencontre un troupeau d’éléphants… Face au danger, les enfants ont du beaucoup courir. Ils se sont cachés… Ce qui me frappe, c’est l’intelligence des enfants »

         L’école est revêtue de prestige. « Ainsi, un des enfants est content d’arriver à l’heure au moment où on salue le drapeau. L’enfant respecte les adultes. Les adultes respectent l’enfant ».

         « Ce film nous révèle un monde d’une grande beauté. Tous les paysages sont magnifiques. Mais cette nature est quand même très dure. Là, c’est un désert. Les enfants affrontent le désert parce qu’ils ont envie de connaître ».

         « Les enfants ne sont pas encombrés de richesses ou saturés par une hyperconsommation. On va vraiment à l’essentiel ».

         Ce film communique la beauté : « Beauté de ces univers. Beauté de ces enfants. Beauté de ces familles… C’est très beau. Tout est très beau… ». « La solidarité entre les enfants est magnifique ». Ainsi ce film nous comble de beauté : « Le monde est beau aussi bien dans les êtres que dans le monde qui nous est donné ». « C’est un film  qui stimule ma foi ».

         Les paroles de Geneviève font écho à ce que J H a lui aussi ressenti en voyant sur le web un condensé du film présenté à des enfants français (3). Il y a, dans ce film, un mouvement, un  souffle, une dimension épique. La démarche de ces enfants est admirable et l’attitude de leurs parents l’est tout autant. Ils acceptent un risque pour leurs enfants  dans un esprit de foi : « Je vous bénis. Que vous arriviez sains et saufs à l’école… Que Dieu soit avec toi… ». On découvre aujourd’hui la dimension spirituelle qui se manifeste dans la vie des enfants (4). Il y a dans ce film une dynamique de vie qui nous émerveille. Nous sommes impressionné par une beauté et une grandeur d’âme qui nous dépassent. Comme l’exprime  Geneviève Patte : « Ce monde est beau aussi bien dans les êtres que dans le monde qui nous est donné ».

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(1)            Sur le chemin de l’école : film documentaire de Pascal Plisson. Bande annonce sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=jsyDtye0B7E Les histoires de chaque enfant, présentées dans une courte vidéo, :  sont très belles : Jackson, 11 ans, Kenya http://www.youtube.com/watch?v=Ayhyzp67kFY Zahira, 12 ans, Maroc : http://www.youtube.com/watch?v=1l_4oGdVj5g  Carlos, 11 ans, Argentine : http://www.youtube.com/watch?v=wJa3nUM8NVg    Samuel, 13 ans, Inde : http://www.youtube.com/watch?v=Z23rQFFzzw8 Commentaire sur le site des Cahiers Pédagogiques. Edito, cinéma. « Emmenez vos élèves sur le chemin de l’école » : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Emmenez-vos-eleves-sur-le-chemin-de-l-ecole

(2)            Patte (Geneviève). Laissez les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012. Mise en perspective sur ce blog : »Une dynamique relationnelle et éducative » https://vivreetesperer.com/?p=523

(3)            Une vidéo réalisée par la Croix : des extraits significatifs du film présentés à des enfants français. http://www.la-croix.com/Famille/Parents-Enfants/Dossiers/Sur-le-Chemin-de-l-ecole-on-sent-la-joie-d-aller-en-classe.-C-est-rare-!-2013-09-24-1023698

(4)            Nye (Rebecca). Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House Publishing, 2009. « La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie. Dans l’enfance, la spiritualité porte principalement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi-même, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création, ou à un profond sens de l’être intérieur ». Voir sur ce blog : « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

Promouvoir la confiance dans une société de défiance !

Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire.

Les pistes ouvertes par Yann Algan.

Comment dissiper la méfiance qui s’est installée dans une partie de la société française en perturbant les relations ?

Quel constat ? Quelle analyse ? Quels remèdes ?

Cette question nous concerne personnellement et collectivement. Comment vivons-nous la relation avec ceux qui nous entourent et dans quelles dispositions entrons-nous en contact avec eux ? Comment percevons-nous notre rapport avec les collectivités et les institutions ?

Professeur d’économie à Sciences-po, Yann Algan a écrit en 2007 un  premier livre sur « la société de défiance » (1). En 2008, il a reçu le prix du meilleur jeune économiste français décerné par « Le Monde » et le Cercle des économistes pour ses travaux sur les relations entre confiance et économie. En 2012, il cosigne « la fabrique de la défiance et comment s’en sortir », un livre où l’école tient une large place (Prix lycéen du meilleur livre d’économie) (2). Ses propos rapportés ici dans une interview sur « impact » en vidéo nous aident à y voir plus clair.

Une société de défiance : le diagnostic de Yann Algan.

 Un premier temps : le diagnostic ! Une société de défiance, c’est une société dans laquelle les citoyens se méfient les uns des autres. Et, dans le même mouvement, ils entretiennent beaucoup de défiance vis-à-vis de la direction des entreprises dans lesquelles ils travaillent, et parallèlement, vis à vis des institutions de l’état. La méfiance est ainsi un dénominateur commun.

« Lorsqu’on demande aux Français : « D’une manière générale peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? », ils apparaissent particulièrement méfiants… Au sein de l’OCDE, nous avons, avec le Portugal et la Turquie, la plus faible confiance. En revanche, dans les pays scandinaves, celle-ci est trois fois supérieure à la nôtre. Elle est également très inférieure à celle des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, et même de l’Espagne et de l’Italie » (« La Fabrique de la défiance », p16). La France se classe parallèlement parmi les pays où l’on ressent le plus de pessimisme et où on éprouve le plus de mal être.

Il y a un lien entre les différents champs d’activité où on peut observer des formes de défiance.

Le système scolaire français, très hiérarchisé, impose aux élèves des comportements qui ne leur permettent pas de grandir dans la confiance. La transmission des savoirs de haut en bas reste dominante. Et l’enseignement français se caractérise par une méthode de classement qui stigmatise certains élèves durant toute leur vie.

Ces comportements intériorisés se retrouvent ensuite dans la majorité des entreprises françaises (3) dirigées de haut en bas par une élite formée dans les grandes écoles, des managers qui ont peu appris à collaborer avec leur personnel. Les enquêtes internationales font apparaître que les entreprises françaises sont, avec leurs homologues japonaises, les entreprises qui sont dirigées le plus verticalement, avec un moindre degré de coopération et davantage de conflictualité.

La méfiance s’exerce également vis-à-vis des institutions de l’État. L’État apparaît en effet comme hiérarchisé, dirigé par une petite élite, peu transparent. Cette situation s’accompagne d’un ressenti des inégalités de statut. Les enquêtes internationales mettent en évidence une défiance des citoyens français vis-à-vis des institutions publiques plus grande que celle qui apparaît dans d’autres pays, même par rapport à des pays d’Europe continentale et jusqu’aux pays méditerranéens.

Si le degré de confiance est plus bas en France que dans la majorité des pays comparables, en fonction de la crise, il a encore baissé au cours des trois dernières années. Et, plus encore, il a baissé davantage que dans d’autres pays confrontés avec la même crise.

Cette situation a des effets extrêmement négatifs, non seulement dans la manière dont elle conditionne les relations personnelles, mais aussi par son impact à une échelle globale. Yann Algan estime que cette négativité engendre une perte de 1,5 à 2% du Produit Intérieur Brut. Dans les sociétés post-industrielles, l’innovation a une importance considérable. Or, pour se développer, l’innovation requiert un climat qui favorise la coopération et l’initiative.

Le bonheur des français selon Claudia Senik.

Signalons ici une autre recherche qui vient d’être diffusée et dont les résultats convergent avec les investigations de Yann Algan. Une économiste française, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Claudia Senik, a publié en 2011 une étude rédigée en anglais : « The French unhapiness puzzle : The cultural dimension of happiness » (le mystère du malheur français : la dimension culturelle du bonheur). Les résultats de cette recherche apparaissent aujourd’hui au grand jour (4).

Dans une interview sur Rue 89 (5), Claudia Senik nous indique le sens de sa recherche : « J’ai mené plusieurs travaux sur la relation entre revenu et bien être, et en faisant ces travaux, en utilisant des enquêtes internationales, je me suis rendu compte que la France était tout le temps, en dessous des autres pays en terme de bien être moyen. Les français transforment systématiquement un niveau de vie donné en un niveau de bonheur moindre que dans les autres pays en moyenne. Et cet écart est assez stable depuis qu’on a des données (les années 70). Quand on est en France, toutes choses égales par ailleurs, on a 20% de chances en moins d’être heureux, en tout cas de se dire très heureux ».

La poursuite de cette recherche a fait apparaître un lien entre ce ressenti et une orientation culturelle. Ainsi, l’auteur s’interroge beaucoup sur le rôle de la première instance de socialisation : l’école. Une observation accompagne cette réflexion : « Les immigrés qui sont passés par l’école en France depuis un très jeune âge sont moins heureux que ceux qui ne sont pas passés par l’école française. On peut penser que les institutions de socialisation primaire formatent assez lourdement ».

Dès lors, comme le rapporte un article paru dans « Le Monde » (6), sur le registre des hypothèses, Claudia Senik formule des recommandations pour l’enseignement français. « Comment être heureux dans un monde mondialisé, si l’on ne maîtrise pas l’outil de la mondialisation qu’est la connaissance des langues étrangères ? Le système français est trop unidimensionnel. Il classe les gens en les notant essentiellement sur les maths et le français et présente un niveau d’exigence trop élevé dans une seule dimension. Autrement dit, les enfants qui ne sont bons  ni en math, ni en français, mais qui peuvent avoir du talent pour d’autres disciplines s’habituent à se penser eux-mêmes en niveau d’échec, surtout dans un pays où l’on proclame l’égalité des chances ».

L’interpellation du système scolaire par Claudia Senik rejoint celle qui est formulée par Yann Algan sur le même sujet.

Promouvoir la confiance

Lorsqu’on revient au thème central : la défiance répandue en  France, comment, en regard, promouvoir le développement de la confiance ? On peut s’interroger sur les origines historiques de cette attitude. Elle remonterait à l’entre-deux guerres et se serait surtout développée à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Yann Algan voit les causes de cette défiance principalement dans le dysfonctionnement des institutions. En réformant les institutions, il y a donc une possibilité d’y remédier. Yann Algan met en évidence un mauvais fonctionnement des institutions étatiques. Nous voudrions ici rapporter ses critiques sur le système scolaire et, en regard, les propositions de réforme.

Le système scolaire en France. Analyses et remèdes.

Ces analyses  se retrouvent dans différentes publications de Yann Algan. Il y revient dans un récent article paru récemment dans « Le Monde » (7) où il recommande à l’école, la mise en oeuvre d’un vivre ensemble plutôt que la mobilisation autour de l’enseignement d’une morale. « Quels grands principes « moraux » l’école doit-elle transmettre si ce n’est l’art de vivre ensemble ? »

Tout se tient. Le manque de confiance engendré par le système scolaire est lié aux modes de relation qui l’emportent aujourd’hui dans ce système. Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien à l’école que les enfants des autres pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire  situation de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, méditerranéenne ou dans les pays anglo-saxons ». (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition.

Et, d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. « Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Piris et Timss) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau, en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ». Et, par ailleurs, il est nécessaire d’agir dès le plus jeune âge. « Les compétences sociales et plus généralement les capacités non cognitives comme la coopération avec les autres, l’estime de soi et la confiance dans autrui, se développent très tôt, dès 3-4 ans ».

Yann Algan met ainsi en évidence un dysfonctionnement profond de notre système scolaire qui s’enracine dans une longue histoire. Au long des années, des groupes militants ont cherché à corriger cette trajectoire en développant des formes nouvelles d’éducation. Nous avons nous-mêmes participé à cette entreprise en oeuvrant pour le développement des bibliothèques, des centres documentaires et pour l’innovation dans l’enseignement. La recherche de Yann Algan et de ses collègues montre combien le système scolaire français est resté traditionnel et l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Mais aujourd’hui, la mutation culturelle exige une transformation profonde de notre système scolaire et éducatif. Quoiqu’il en soit, les jeunes participent par ailleurs aux formes nouvelles qui induisent des changements de mentalité.

Les origines culturelles.

Yann Algan met en évidence les dysfonctionnements institutionnels qui engendrent une défiance et recommande des réformes en profondeur pour y remédier. Mais n’y a-t-il pas également des racines de la défiance dans la culture telle qu’elle influe sur les représentations. En traitant de la question des freins au bonheur dans les esprits, Claudia Senik évoque cette hypothèse. Mais, plus avant, si le système scolaire engendre des comportements de défiance, il est le produit d’une histoire qui remonte dans le passé et qui témoigne d’une culture marquée par une tradition hiérarchique. Si, comme on l’a vu, les élèves français ne se sentent pas chez eux à l’école, ne serait-ce pas parce que celle-ci est encore imposée de l’extérieur à la société et s’inscrit dans des formes bureaucratiques et corporatistes ? Dans son livre : « La Société de confiance » (8) qui fait suite au « Mal Français », Alain Peyrefitte met en évidence l’influence de l’inspiration protestante dans toute une gamme de pays où on peut observer aujourd’hui encore des comportements davantage empreints de confiance. A contrario, l’histoire de France est marquée par un conflit entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre une Eglise catholique hiérarchisée et des forces contraires qui ont également imposé d’en haut leur idéologie (9). Ainsi, dans son livre : « La France imaginée » (10), Pierre Birnbaum montre comment, au XIXè siècle, la tradition centraliste et unitaire a prévalu, des passions rivales en faveur de l’uniformisation s’affrontant l’une contre l’autre. Et, de même, des milieux opposés étaient structurés par des mécanismes hiérarchiques. Cette tradition se dissipe peu à peu. Mais, dans les années d’après-guerre, un sociologue, Michel Crozier, pouvait encore parler de la France comme « une terre de commandement ». On voit bien en quoi la transformation des mentalités est appelée à se poursuivre.

La confiance comme réalité spirituelle.

Dans les aléas de l’histoire, il demeure que la confiance est une réalité spirituelle. Et si cette réalité se manifeste au plan personnel, elle prend aussi une forme sociale. Ce blog essaie de témoigner de cette réalité (11). On observe dans l’histoire des formes de coopération qui peuvent être considérées comme une avant garde. Dans la plupart des pays, la vie associative est de plus en plus répandue. Et aujourd’hui, à l’échelle internationale, on perçoit un mouvement croissant de convivialité. A travers certains milieux, la France y participe. Et par delà les obstacles locaux et les replis conjoncturels, une vision spirituelle de la confiance se dessine : « Être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’ « essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (12).

Dans la mutation actuelle de la culture et de la société, la confiance devient de plus en plus une requête sociale. Si faire confiance aux autres est l’expression d’un choix existentiel, c’est aussi une contribution à une dynamique sociale cherchant à réaliser un environnement plus positif.

J. H.

(1)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre). La société de défiance. Ed Rue d’Ulm, 2007.

(2)            Algan (Yann) Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Les auteurs, trois économistes réputés, montrent comment « la défiance est au cœur du pessimisme français… Elle n’est pourtant pas un héritage culturel immuable ». De fait, elle résulte d’un cercle vicieux où le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’état ». Ce livre propose une dynamique de réforme. « Il n’y a pas de fatalité au mal français. La confiance aussi se fabrique… ». Itinéraire de Yann Algan sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Algan Nous présentons une interview de Yann Algan recueillie par Impact et présentée sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=aXCRkEAtE9U

(3)            Voir aussi : Philippon (Thomas. Le capitalisme d’héritier. La crise française du travail. Seuil, 2007. Présenté dans un article : « Défiance ou confiance » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html

(4)            On peut entendre Claudia Senik exposer son approche sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/xzfq07_l-entretien-claudia-senik-auteur-de-l-etude-le-mystere-du-malheur-francais_news#.UY9XCK7j4Ss

(5)            Claudia Senik. « Le malheur français, c’est quelque chose qu’on emporte avec soi ». Rue 89. Le grand entretien 03/04/2013 http://www.rue89.com/2013/04/03/malheur-francais-cest-quelque-chose-quon-emporte-soi-241113

(6)            Claudia Senik. La France ne fait pas le bonheur (suite). Le Monde. 01.04.2013 http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(7)            Yann Algan. La morale laïque, culture commune nécessaire au ciment d’une société. Le Monde.fr. 21.04.2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(8)            Peyrefitte (Alain). La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du développement. Odile Jacob, 1995. Ce livre est une thèse de doctorat qui marque l’aboutissement d’une longue recherche de l’auteur sur le thème de la confiance et met en évidence le rapport entre confiance et développement.

(9)            Sur le site de Témoins : Deux articles sur les antécédents historiques qui influent sur le rapport confiance-défiance en France : « Défiance ou confiance. Quel style de relation ? Quelle société ? » (mai 2007) http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html  « Les rapports entre le politique et le religieux »  (octobre 2004) http://www.temoins.com/etudes/les-rapports-entre-le-politique-et-le-religieux.html

(10)      Birnbaum (Pierre). La France imaginée. Déclin des rêves unitaires. Gallimard. 1998.

(11)      Ce blog accorde une importance majeure au thème de la confiance dans ses différents registres : personnel et collectif. Nous rappelons ici quelques uns de ces articles : « Vivre en harmonie » : https://vivreetesperer.com/?p=43  « Amitié ouverte » : https://vivreetesperer.com/?p=14 « Confiance ! Le message est passé. » : https://vivreetesperer.com/?p=1246 « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137 « Un chemin de bonheur. Les écrits de Marcelle Auclair » : https://vivreetesperer.com/?p=748 « Un chantier peut-il être convivial ? » : https://vivreetesperer.com/?p=133 « Se rencontrer à travers un jogging » : https://vivreetesperer.com/?p=246 « Apprendre à vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=806 « La bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674 « Laissez-les lire ! » : https://vivreetesperer.com/?p=523 « Travailler dans les nouvelles technologies : un itinéraire professionnel fondé sur la justice » : https://vivreetesperer.com/?p=1056 « Construire une société où chacun se sentira reconnu et aura sa place » : https://vivreetesperer.com/?p=1240 « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(12)       Nous nous référons ici à la pensée de Jürgen Moltmann, qui nous propose une théologie de l’espérance, qui est la source d’une dynamique de confiance. Introduction à la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Vie et pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html Les citations mentionnées ici sont extraites de son livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Le Cerf, 1988 (citations p.12 et p. 25).

Une nouvelle manière d’enseigner : Participer ensemble à une recherche de sens

L’approche pédagogique de Britt-Mari Barth

 

 

A travers ses recherches et les livres dans lesquels celles-ci sont exposées, Britt-Mari Barth propose une nouvelle manière d’enseigner. Mais, en quoi les pratiques traditionnelles deviennent-elles aujourd’hui contre productives ?

 

Les pratiques traditionnelles deviennent contreproductives dans ce sens qu’elles ne prennent pas en compte ce qu’on sait aujourd’hui sur la façon dont on  apprend. Traditionnellement, le savoir est conçu comme un « contenu » qu’on expose à des élèves qui doivent écouter passivement et prendre des notes – pour ensuite mémoriser ce contenu –  on présuppose que c’est la clarté du l’exposé qui compte. Si le « message » est clair (cf le schéma de la communication de Shannon) et si l’élève est attentif et écoute, il devrait apprendre. Dans cette approche , c’est le message  qui compte,  on ne s’occupe pas de la manière dont  l’élève va recevoir ce  message, s’il l’a compris ou pas, si cela fait sens pour lui ou non. C’est comme si les mots étaient le sens et qu’il suffit de les apprendre pas cœur pour avoir « appris ». Mais pour apprendre, il ne suffit pas de mémoriser des réponses, il faut comprendre le sens – et cela  demande une  autre approche pédagogique. La compréhension et la capacité d’agir avec le savoir devient d’autant plus important que nous prenons conscience des défis nouveaux qui marquent notre temps. Tous les futurs citoyens ont besoin de comprendre les enjeux de la société aujourd’hui. L’information est disponible par un simple clique, mais les élèves ont besoin de savoir faire des liens, de comprendre et de poser les bonnes questions, de localiser et de choisir l’information pertinente, de la vérifier,de s’en servir… Il s’agit là des capacités intellectuelles qu’on doit apprendre et s ‘exercer à mettre en oeuvre à l’école.

 

Britt-Mari Barth a un parcours original, puisque de nationalité suédoise, elle est venue s’installer en France. Mère de trois enfants en âge scolaire, elle a porté un regard neuf sur l’enseignement français. A partir de là, elle a commencé à imaginer une pratique innovante.

 

Justement, je voulais inviter les élèves à participer à des activités qui les incitaient à réfléchir, à chercher à comprendre, à participer à des interactions, à trouver un intérêt à cette recherche de sens, un peu comme des chercheurs le font… Pour cela j’ai conçu des « scénarios », qui peuvent se comparer à des jeux de société, avec des règles qu’il faut suivre pour atteindre le but.  Ces scénarios proposent une activité  à laquelle les élèves participent, en collaboration avec les autres, pour produire quelque chose qui a du sens pour eux. L’activité doit avoir un début et une fin, offrir quelque défi, sans être trop difficile. Il faut que les élèves comprennent le but de l’activité, et qu’ils sachent que l’enseignant est là pour les aider en cas de besoin et qu’on a le droit à faire des erreurs. En expérimentant ces scénarios en classe, on pouvait remarquer que non seulement les élèves apprenaient mieux – ils comprenaient le sens de ce qu’il fallait apprendre – mais ils y prenaient plaisir ! Du coup, ils s’en souvenaient mieux et pouvaient mieux se servir de ce qu’ils avaient appris –  et ils prenaient confiance en leur capacité d’apprendre.

 

Britt-Mari Barth est devenue progressivement chercheur en pédagogie. Elle en est venue à proposer une nouvelle approche pédagogique. Quelles en sont les caractéristiques ?

 

En observant ce qui se passait en classe,  j’ai voulu mieux comprendre  les raisons de cette « réussite » : quelles étaient les conditions mises en œuvre qui avaient favorisé les apprentissages ? J’en ai trouvé cinq , qu’on pourrait appeler les « points incontournables » pour l’enseignant afin de guider les élèves vers la co-construction du sens.

 

Les deux premières conditions se trouvent en amont de « la leçon ». Elles soulignent  l’importance de bien définir le savoir à enseigner et ceci en prenant en compte la façon  dont les élèves doivent faire la démonstration de leur compréhension. Apprendre quoi ? Pour faire quoi ? L’enjeu pour l’enseignant est de ne pas avoir une conception trop statique du savoir, sous forme d’une définition abstraite, mais de savoir le transformer en des situations qui le rendent vivant,  qui donnent accès au sens. Pour cela, il faut des situations ou des exemples vairés, permettant à chacune de cibler le sens. Tous les savoirs peuvent s’exprimer dans des formes et des langages différents, il s’agit de multiplier et de varier ces formes selon le contexte et le but recherché. Ces situations du savoir-en-action véhiculent le sens d’une façon plus directe que des explications abstraites. Les situations-exemples  sont donc une entrée pour se familiariser avec un contenu abstrait. Des contre-exemples, par leur contraste, peuvent aider à cerner, limiter le sens. Car, in fine, il s’agit de pouvoir exprimer le sens avec les mots justes – mais le sens n’est pas un déjà-là. Il faut que chacun le construise.

 

La troisième condition souligne l’importance de solliciter l’intention d’apprendre des élèves. Le rôle de l’enseignant est ici essentiel. C’est son propre engagement et son invitation aux élèves à relever un défi qui vont d’abord leur donner envie de se lancer dans les activités proposées. Mais les élèves ont également besoin de se sentir en sécurité lors des situations d’apprentissage, de savoir que l’enseignant est là pour les aider.  Cette attitude, ou posture de l’enseignant est au cœur de l’approche et les « scénarios pour apprendre » sont conçus dans cet esprit. La motivation peut alors se construire au fur et à mesure que le travail avance et que les élèves y trouvent un sens personnel. 

 

La quatrième condition met au centre la façon dont l’enseignant sollicite, guide et accompagne la réflexion des élèves. Il le fait en leur proposant de bons supports pour la pensée – avec quoi et avec qui les élèves vont-ils penser ? … C’est dans l’espace même de l’activité réflexive et du dialogue que le  sens s’élabore, l’attention des élèves étant guidée  par le choix et l’ordre des exemples, par le contraste des contre-exemples, par les questions et l’écoute de l’enseignant. L’incitation systématique à justifier sa réponse oblige à anticiper la cohérence de ses propos et invite à l’argumentation. On n’est plus uniquement dans un « monde sur papier », un monde abstrait, mais dans une activité  collective qui conduit à relier – dans un aller-retour continu – la connaissance abstraite à son référent concret. On passe par les expériences contextualisées pour les insérer dans une unité plus large qui lui donne sens.

Progressivement, les élèves comprennent que ces « outils de pensée » sont valables dans d’autres situations. Ce qui nous amène à la cinquième condition.

 

La cinquième condition nous mène vers la métacognition. Celle-ci consiste à faire un retour réflexif sur sa pensée pour en prendre conscience. La métacognition a pour but d’élargir le champ de la conscience des apprenants et donc leur capacité à réutiliser ce qu’ils ont appris dans des contextes différents. Elle permet ainsi de devenir davantage conscient de ce que l’on sait, de comprendre comment on a appris, ce qui permet, progressivement, de mobiliser ses connaissances et de reproduire ces processus dans un autre contexte.

 

Ces cinq « points incontournables » :

 

– définir le savoir à enseigner

– exprimer le sens dans des formes concrètes

– engager les apprenants

– guider le processus

– préparer au transfert des connaissances

peuvent alors constituer une grille d’analyse pour guider le travail de           l’ enseignant.

 

La recherche de Britt-Mari Barth s’est immédiatement inscrite dans une perspective internationale. Ainsi a-t-elle pu bénéficier de l’apport de quelques chercheurs réputés. En quoi cet apport a-t-il éclairé cette recherche ?

 

J’ai eu de la chance, dés mes débuts, de rencontrer des œuvres et des personnes  qui ont guidé et inspiré mon travail. D’abord, Jerome Bruner, psychologue américain, un des pionniers de la psychologie cognitive et qui a changé notre vision du développement humain. A une époque où  l’inconscient  de Freud était au programme dans la formation des enseignants, l’idée de la conscience , avec la métacognition  (revenir sur sa pensée pour en prendre conscience), est venue nous surprendre. Bruner montrait l’importance de « l’attention conjointe » pour pouvoir penser ensemble  et d’avoir une structure d’interaction pour guider et soutenir la réflexion. Plus tard, j’ai connu Howard Gardner qui était un des premiers théoriciens à nous faire la démonstration qu’il n’y a pas qu’une seule « intelligence générale » qui fonctionne partout : on l’a ou l’on ne l’a pas, et cela se mesure en Q.I. dès l’âge de trois ans … Au contraire, il y a des « potentialités » de modes cognitifs différents et multiples, qui s’expriment dans diverses tâches ou divers contextes culturels. Il n’y a donc pas d’ « intelligence pure » qui  s’exercerait hors contexte. Pour être « intelligent » dans un domaine donné, il faut apprendre à utiliser les langages symboliques qui expriment chaque domaine de savoir. D’où l’importance de bien les enseigner. Par ailleurs, chaque intelligence peut être mobilisé dans un large ensemble de domaines. Cela invite à varier les activités et le contextes jusqu’à ce qu’on ait atteint un « terrain commun » d’où le sens peut émerger . Ce dernier point me semble très important et c’est le biologiste Francisco Varela qui m’a permis de bien le comprendre. Il montre que chaque personne a une  structure cognitive interne  qui se développe de façon autonome, il faut donc respecter cela si l’on veut amener un élève à changer de « structure », de compréhension…

 

 

Les propositions de Britt-Mari Barth intervient à une époque où les représentations et les comportements changent constamment. En quoi cette nouvelle manière d’enseigner répond-elle au changement dans les mentalités ?

 

Nous sommes beaucoup plus conscients aujourd’hui  du besoin des interactions pour apprendre. Nous n’apprenons pas seuls, nous apprenons par interaction, avec les autres et avec les « outils de pensée » que notre environnement nous rend accessibles. Cela se remarque d’autant plus aujourd’hui que nous vivons une mutation technologique, une révolution portée par le numérique, une « « culture multi-média ». Issus de cette « cyberculture », qualifiés de « digital natives », les élèves ont également changé et ils ne viennent plus à l’école avec les mêmes attentes – et l’école ne peut plus l’ignorer. Ils sont experts en nouvelles technologies et ils ont l’habitude d’être en communication constante sur les réseaux sociaux. Il y a un rapport nouveau au savoir et à l’apprentissage, élèves et professeurs ont accès aux mêmes informations. Les mutations actuelles de notre société laissent penser que la nature de l’enseignement et de la formation va être amenée à changer radicalement. Cela ne veut pas dire que l’école est moins indispensable qu’avant, mais les rôles des enseignants et des élèves ont changé. Les propositions que j’ai faites vont dans ce sens, elles offrent plus de place aux élèves « d’apprendre ensemble », de participer activement à la construction de leur savoir.

 

Britt-Mari Barth travaille avec des professeurs innovants, mais ses livres s’adressent à tous les enseignants. Comment ses idées sont-elles reçues ?

 

Au fil des années, j’ai formé un grand nombre d’enseignants, y compris dans les classes. J’ai été agréablement surprise de l’enthousiasme avec lequel les enseignants ont reçu ces « outils » et les ont mis en œuvre à leur manière. Je pense que cela s’explique par le fait que quand la confiance mutuelle s’installe dans une tâche avec un but commun,  un langage commun, avec des outils pertinents qui permettent une certaine prise sur la réussite de l’entreprise, cela donne une forte motivation de s’impliquer, intellectuellement et affectivement. Et ce sont là les conditions premières pour qu’un apprentissage ait lieu. Le rôle de l’enseignant change. Au lieu d’exposer son savoir, il le met au service des élèves pour qu’ils puissent construire le leur. Il devient un médiateur entre les élèves et le savoir, celui qui organise des rencontres avec ce dernier, dans ses formes vivantes, pour que tous les élèves puissent interagir avec ce savoir et entre eux. Il est à la fois l’inspirateur et le catalyseur, le modèle et l’accompagnateur… c’est un rôle plus exigeant mais plus valorisant.

 

Les usagers de l’enseignement : élèves, étudiants, parents, sont évidemment particulièrement concernés. Comment peuvent-ils participer à ce grand changement ?

 

Quand les élèves ou les étudiants deviennent plus conscients des méthodes et des outils pour apprendre, ils deviennent plus autonomes et développent une plus grande aptitude à agir. Ils se sentent plus auteurs de leurs apprentissages et peuvent devenir plus responsables – pour eux-mêmes et, pourquoi pas, pour les autres. Ils peuvent travailler entre eux, à l’aide des outils numériques, par exemple, en posant des questions… Avec une vision plus claire de ce que le savoir leur permet de faire, comme par exemple résoudre un problème, analyser une situation ou une lecture, porter un jugement sur un événement qui se passe…les apprentissages scolaires prennent plus de sens pour eux, ils peuvent en parler avec les parents qui peuvent également apporter leur pierre à ce « savoir en construction ». La diversité, au lieu d’être un obstacle, peut devenir un atout pour enrichir les connaissances.

 

L’enseignement joue un rôle majeur dans notre société. Quelle vision, Britt-Mari Barth nous communique-t-elle ?

 

Le nouveau « enseignant-médiateur » a changé la vision qu’il avait des apprenants,  il ne se pose plus les mêmes questions, il ne conçoit plus son rôle de la même façon. Il ne se pose plus la question de savoir si l’on a «couvert le programme », si les élèves sont attentifs, motivés, « bons », ou non. Ses questions concernent plutôt la manière dont on peut utiliser les moyens qui existent (y compris les outils numériques) pour outiller les élèves à mieux penser et à mieux apprendre et à apprendre avec plus de plaisir : comment on peut les stimuler, leur proposer des défis, leur donner envie d’apprendre… La motivation – et la confiance en soi – conçue comme une disposition à relever des défis, prendre une initiative, ne pas craindre les erreurs, avoir de la persévérance… peut ainsi se construire. Ce n’est pas nouveau en soi, c’est ce que les « bons enseignants » ont sans doute toujours fait… Mais il faudrait devenir plus conscient de ce que fait « un bon prof », comment il s ‘y prend… dans quel but… et former tous les enseignants à se poser de telles questions et à être outillés pour y répondre.

 

Contribution de Britt-Mari Barth

 

Britt-Mari Barth est professeur émérite à l’Institut Supérieur de Pédagogie de l’Institut Catholique de Paris où elle enseigne depuis 1976 . Ses travaux s’inscrivent dans une approche socio-cognitive  de la médiation des apprentissages et ont débouché sur une approche pédagogique connue sous le nom de « Construction de concepts ». Ses travaux sont exposés dans deux livres fondamentaux : « L’apprentissage de l’abstraction » et « Le savoir en construction » publiés aux Editions Retz. Britt-Mari Barth vient de publier un nouveau livre : « Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs » aux Editions Retz et aux éditions Chenelière, Montréal. Ses écrits sont traduits en huit langues.

 

http://www.editions-retz.com/auteur-1127.html

Une nouvelle manière d’être et de connaître / 2

Vers une société participative

« Petite Poucette » de Michel Serres.

Puisqu’à travers internet, le savoir est en voie de devenir accessible à tous, les conditions de l’enseignement s’en trouvent changées.  Jusqu’ici, « un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l’écrit… Sa chaire faisait entendre  ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait du silence. Il ne l’obtient plus… » (p 35). Et, ici, Michel Serres, lui même professeur dans l’enseignement supérieur, parle d’expérience. Aujourd’hui, « le bavardage vient d’atteindre le supérieur où les amphis débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire d’un brouhaha permanent… » ( p 35). Petite Poucette ne lit, ni ne désire ouir l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduite au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères, produisent en chœur désormais un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture… Pourquoi bavarde-t-elle ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà… En entier. A disposition.  Sous la main.. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente » (p 36).

Et de fait, il y ainsi un changement majeur dans le rapport entre l’offre et la demande.

« Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, celle-ci n’eut jamais le souci d’écouter l’avis ou les choix de la demande… Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d’un autre savoir… L’offre sans demande est morte ce matin. L’offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l’école, je vais dire que cela le devient de la politique.  «  (p 37).

Michel Serres nous invite à entendre une voix qui monte, la voix d’une multitude qui est en train de s’émanciper des formatages et des conduites imposées et cherche à s’exprimer. Dans le passé, « Tout le monde semblait croire que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs, qu’en amont, l’offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout… Peut-être, cette ère a-t-elle eu lieu. Elle se termine sous nos yeux, au travail, à l’hôpital, en route, en groupe, sur la place publique, partout… Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix » (p 52)

Michel Serres met en évidence les faits précurseurs. Il nous montre les faits significatifs. Il nous invite à voir au delà des pesanteurs qui nous affectent encore. Effectivement, l’expression est en train de se développer à toute allure. « Tout le monde veut parler. Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase. (p 59).

Il y a quelque part dans l’approche de Michel Serres, une démarche prophétique. Il nous montre les voies d’une émergence et il sait s’indigner face aux cynismes qui se réfèrent à un passé mortifère. « Petite Poucette apostrophe ses pères : Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me l’enseigna ? Vous-même avez-vous su faire équipe ?… Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami »… Mais n’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? » (p 60). Et de rappeler les appartenances sanguinaires qui ont prévalu dans le passé : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie.. A ces appartenances nommées par des virtualités abstraites : armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille, marché, dont les livres d’histoire chantent la gloire sanglante, je préfère notre virtuel immanent qui ne demande la mort de personnes » (p 61-62).

Oui, une société nouvelle est en train de naître. Face à de grandes machines publiques ou privées qui imposent leur puissance géante au nom d’une prétendue compétence, les « Petits Poucets », les gens d’aujourd’hui ont désormais accès à une information qui leur permet d’en savoir plus ou autant que les puissants. « Le partage symétrise l’enseignement, les soins, le travail…Le « collectif » laisse la place au « connectif »… (p 65). Mais en même temps, Michel Serres dénonce les forces qui s’opposent à cette évolution, et notamment, les travers de la société du spectacle. N’y a-t-il pas là une forme d’intoxication collective qui distrait et endort les esprits à travers un étalage de superficiel, de clinquant, de spectaculaire, et parfois aussi une excitation des pulsions les plus négatives.

« Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude anonyme sur les élites dirigeants bien identifiées, du savoir discuté sur les doctrines enseignées, d’une société immatérielle, librement connectée sur la société du spectacle à sens unique » (couverture)

J.H

Suite de la précédente contribution : La grande mutation dans la transmission du savoir. Suite dans deux prochaine contributions : Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Regard nouveau pour un monde nouveau.